Territoire

Urbanisme île de Ré

Les constructions montent, les recours se multiplient

Depuis l’entrée en vigueur du PLUi de l’île, les surélévations se multiplient, comme ici à La Flotte. Les recours aussi.
Publié le 08/02/2023

Le PLUi* de l’île de Ré, qui s’applique depuis un peu plus de trois ans, entraîne une évolution architecturale et paysagère inévitable des villages rétais. Densification rime forcément avec élévation, au grand dam de certains. Explications.

Alerté par des propriétaires fort mécontents des projets de construction de leurs voisins, Ré à la Hune a interrogé Patrick Rayton, 1er vice-président de la CdC en charge de l’urbanisme, Lionel Quillet, président de la CdC, Lionel Coutier, Architecte dirigeant de Ré Team Design, pour y voir plus clair.

Le cadre général

La loi du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire, dite loi Voynet, et la Loi ALUR (Loi pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové) du 24 mars 2014, dite Loi Duflot II, ont entraîné une densification urbaine partout où le besoin en logements se fait cruellement sentir. La Loi ALUR a conduit à La suppression du COS*, entraînant la naissance de nouvelles règles sur l’emprise au sol, la hauteur des bâtiments, l’implantation de constructions, etc.

L’arrivée des PLU et PLU intercommunaux, qui se substituent aux POS*, a introduit la disparition du minimum parcellaire, c’est à dire la surface minimale des terrains requise pour construire. Naturellement, des constructions apparaissent sur des terrains plus petits et là où auparavant un grand terrain pouvait accueillir une seule construction, la division parcellaire entraîne une taille moyenne de parcelle nettement plus petite. Comme l’explique Lionel Coutier : « Ce que les propriétaires n’ont plus au sol, ils le gagnent en hauteur ». Moins les parcelles sont grandes, plus la promiscuité entre voisins s’accroît et plus l’élévation du bâti avec la création d’étages est susceptible de créer des nuisances pour le voisinage.

Les cas se multiplient

C’est le cas pour cette famille, installée depuis de nombreuses générations dans le centre-bourg de La Flotte dans une maison d’architecture traditionnelle rétaise, de plain-pied, qui a découvert stupéfaite le permis de construire de ses nouveaux voisins et a déposé un recours gracieux auprès du Maire. « Contrairement à ce que nous avait dit notre voisin, qui nous a toujours parlé d’une surélévation d’un mètre, la consultation des plans de son permis de construire montre que son mur monte à plus de six mètres. Ce mur mitoyen est aujourd’hui à 3,75 m, ce qui fait une surélévation entre 2,50 m et 2,95 m ! », s’égosille l’un de ses membres. « Cette surélévation a pour conséquence directe de nous enlever de la luminosité. En plus, dans le cadre de cette construction en R+1, une grande verrière est prévue à l’étage, donnant directement sur notre jardin et notre SPA ». Bonjour l’intimité ! D’autres problèmes pourraient se juxtaposer dans ce dossier, selon la famille, puisque ces maisons sont situées dans un « périmètre historique ».

Autre commune, autre sujet, pour là encore une très désagréable surprise. Au Bois-Plage, au Morinand, ce couple, installé depuis très longtemps dans le quartier, est propriétaire d’une maison de plain-pied donnant sur un petit jardin. De l’autre côté de l’étroite rue (contrairement à ce que laisse supposer la demande de permis de construire sur lequel est dessinée une très large route), un propriétaire, qui fait essentiellement de la location saisonnière, a décidé, pour éclaircir son galetas (pièce sous les combles) qui fait office de chambres, de créer une fenêtre double sur pignon aveugle, à l’étage, sur la façade qui surplombe directement la rue… ainsi que le jardin et la maison en question. Le couple est d’autant plus dépité que ce même propriétaire écrivait dans le cadre de l’enquête PLUi : « Interdire les maisons à étage préjudiciables pour tous les propriétaires… et prévoir une superficie minimale de terrain. » Là encore un recours gracieux a été déposé, mais les voisins n’ont pas les moyens d’aller plus loin…

Voilà deux exemples parmi beaucoup d’autres.

PLUi, PPRL et ZAN*

« Ce premier PLUi de l’île de Ré a été très difficile à élaborer » explique Patrick Rayton, « il nous a fallu nous mettre d’accord sur des règles identiques pour les dix communes rétaises, qui ont des spécificités locales. C’était la première expérience de la collectivité en la matière, il a fallu adapter tant que faire se peut la réglementation aux particularités de certaines communes. En outre, le Nord de l’île est très impacté par le PPRL, qui conduit à construire en R+1, or ce PPRL s’impose au PLUi. Le PADD* est aussi un élément incontournable du PLUi et il va nous falloir imaginer une architecture résiliente au regard du risque de submersion. Tout cela va amener une vision nouvelle de l’Architecture de l’île de Ré. Les Ouches, à Saint-Clément, est un bon exemple de la surélévation induite par le PPRL. Enfin, la démarche de Zéro Artificialisation Nette (ZAN) des sols qui demande aux collectivités de réduire de 50 % le rythme d’artificialisation et de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030 par rapport à la consommation mesurée entre 2011 et 2020, va avoir un impact important. Si en 2030 on constate qu’on a consommé plus que ces 50 % il faudra rendre des espaces ! Cela va se gérer au niveau régional, dans le cadre de la Loi Climat et Résilience, certaines Régions étant susceptibles d’aller au-delà de ces 50 %. Cette ZAN* va compliquer encore les choses. »

« Sur l’île de Ré trois communes – La Flotte, Sainte-Marie et Saint-Martin – sont soumises à l’avis conforme de l’Architecte des Bâtiments de France (ABF), ainsi que celle d’Ars dans un périmètre de 500 m autour de son église, alors que les autres communes reçoivent un avis simple. Le cas que vous citez de La Flotte en est un très bon exemple, en l’occurrence l’ABF a rendu un avis conforme. » Patrick Rayton admet sans peine que les Maires voient les recours se multiplier : pour ce premier PLUi les élus rétais ont eu tendance à vouloir y faire rentrer les POS de chaque commune, ce qui n’était pas possible, et il a fallu trouver des règlements pouvant s’appliquer dans toutes les communes. « La révision du PLUi sera lancée avant la fin de ce mandat (2026), il faut quatre ans pour la mener à bien, on peut espérer doter l’île de Ré d’un PLUi affiné pour 2029. »

Plus de hauteur dans les centres-bourgs

L’Architecte Lionel Coutier, qui mène régulièrement des chantiers sur l’île de Ré, le confirme : « La densification se constate partout en France, d’un côté on a une population qui augmente et un besoin de logements croissant, de l’autre côté on a des terres agricoles à préserver, les surfaces disponibles se raréfient. Ce que l’on ne peut faire en emprise au sol, on le fait en hauteur. Sur l’île de Ré, les centres-bourgs sont historiquement souvent bâtis en R+1, alors que les extérieurs sont construits de plain-pied, on respecte une trame architecturale, le bâti monte progressivement des extérieurs vers les centres. Le PLUi de l’île permet de monter, il est cependant extrêmement contraignant et définit beaucoup de choses. Parfois il faut lire entre les lignes, chacun a son interprétation. Si on discute beaucoup avec les services urbanisme des communes, on n’a pas du tout accès aux services d’instruction de l’urbanisme de la CdC, pouvoir dialoguer en amont nous permettrait d’éviter de déposer plusieurs permis de suite, cela désengorgerait le service instructeur et nous ferait gagner du temps, à tous. »

Lui aussi admet que « Cela monte de partout, c’est un changement difficile à accepter, mais il vaut toujours mieux dialoguer avec ses voisins que déposer des recours, surtout quand leur permis est conforme. Les gens achètent un potentiel, qu’ils entendent exploiter au mieux, souvent la régulation est imposée par les coûts de construction qui explosent, donc le budget qu’ils peuvent allouer au projet. »

« Le Maire a un vrai pouvoir d’appréciation »

Président de la CdC, Lionel Quillet reconnaît aisément : « Ce sujet de l’élévation du bâti est un vrai sujet depuis longtemps. Dans le Sud de l’île, certaines communes comme La Flotte ou Saint- Martin ont traditionnellement beaucoup de constructions à étages, et dans le Nord de l’île le PPRL entraîne des obligations de surélévation. Les Services de l’Etat nous poussent globalement à densifier. » Le même, sous sa casquette de Maire de Loix, explique : « Ces évolutions, on les a vues venir. En 30 ans sur le millier de permis de construire que j’ai eu à signer à Loix je n’ai pas suivi pour un quart d’entre eux l’instruction faite par les services dédiés, à la préfecture puis à la CdC et/ ou l’avis de l’ABF. L’aspect paysager par rapport à l’environnement est une notion importante, quand un projet ne s’intègre pas dans l’ensemble, le Maire peut toujours le refuser, sur la base de l’article R111-47 du Code de l’Urbanisme. De même, chaque Maire peut échanger avec l’ABF pour argumenter et essayer de le convaincre. Parfois, quand je refuse un permis, les porteurs du projet reviennent me voir avec un projet modifié, qui tient compte de mes arguments, d’autres fois j’ai des recours, le processus est long et pendant ce temps les projets ne se font pas… »

« Dans la prochaine modification du PLUi (2023), nous allons essayer de renforcer ce pouvoir d’appréciation des Maires. Celle-ci est certes subjective, mais souvent le juge m’a suivi. Comme toujours, il y a le cadre de la loi, l’esprit de la loi, et son appréciation subjective. »

 

*PLUi : Plan Local d’Urbanisme intercommunal – POS : Plan d’Occupation des Sols – COS : Coefficient d’Occupation des sols – PPRL : Plan de Prévention des Risques Littoraux – PADD : Plan d’Aménagement et de Développement Durable. ZAN : Zéro Artificialisation Nette.

Nathalie Vauchez

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Vos réactions

  • AD
    Publié le 8 février 2023

    Avant le PLUi, les POS autorisaient les étages dans les zones Ua des centres bourgs où les maisons d’habitation étaient en majorité avec un étage. Idem dans les zones Ub en périphérie des centres bourgs de la plupart des 10 communes de l’île. La maison basse avec juste un rez-de-chaussée n’est pas la maison traditionnelle rétaise. Les maisons à étage, les maisons en rez-de-chaussée, les maisons pour partie en étage et pour partie en rez-de-chaussée, les chais, les granges, etc…. cohabitaient pour former ce paysage urbain le long de rues, ruelles, venelles, places, placettes et quéreux (dans la partie sud de l’île) aux largeurs variées, avec courbes et recoins, ce paysage plein de charme et si attachant. Les quelques communes qui n’ont pas autorisé les étages en zone Ub offrent un paysage incongru et indigent du point de vue architectural constitué de rues trop larges bordées d’une succession ennuyeuse et monotone de maisons en rez-de-chaussée. Merci aux élus qui ont considéré, dans les années 80 du XXème siècle, la zone Ub comme une extension de la zone Ua en y autorisant les étages sur des terrains au minimum parcellaire un peu plus grand que celui des terrains en zone Ua. Les contestataires de la possibilité d’un étage en zones Ua et Ub ont forcément reçu cette information lors de l’acquisition de leur propriété, ils l’ont donc achetée en connaissance de cause. Aujourd’hui, au nom de l’invention de toute pièce de la maison basse traditionnelle rétaise (confusion sans doute avec la bourrine vendéenne), c’est à dire en zélés défenseurs de la tradition rétaise, ils plaident pour l’interdiction des étages. Un peu d’honnêteté : peu leur chaux la préservation de l’habitat rétais avec la vie sociale qu’il favorisait et peu continuer à favoriser. Ce qui compte à leur yeux, c’est d’être bien isolés chacun chez eux derrière leurs murs, l’autre, cet inconnu voisin et sa famille, constituant forcément une nuisance……Pour ma part , je suis heureuse quand les fenêtres de l’étage de la maison de mes voisins sont éclairées même si de ces fenêtres, ils peuvent avoir une vue plongeante dans ma cour. Enfin du monde, de la vie et ils ont autre chose à faire que de regarder chez moi. Par expérience, les étages sont sources d’avantages à considérer : il ne faut pas négliger les effets de réverbération de la lumière sur des murs blancs ou ocre jaune, le mur de l’étage de votre voisin peut renvoyer la lumière du soleil dans votre cour jusqu’alors sans soleil. Considérez aussi les économies d’énergie l’hiver quand un étage coupe votre maison des vents froids d’est et du nord, il ne faut pas non plus négliger les économies de parasol et de toiles d’auvent l’été quand un étage ombrage une partie de votre cour ou jardin, vous offrant gratuitement un coin à l’abri cagnard du soleil dès que celui-ci passe à l’ouest.

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  • Camille de Ré
    Publié le 8 février 2023

    Bonjour,
    Article intéressant, notamment dans la réponse des experts et des édiles, qui, lorsqu’ils prennent les décisions pèsent le pour et le contre dans un cadre réglementaire contraignant et en prenant l’avis de toutes les parties prenantes.
    Les deux exemples sont en revanche amenés avec un « partie pris » étonnant et visiblement sans recueil d’avis contradictoires, comme si à l’ile de Ré on pouvait faire n’importe quoi.
    Bref beaucoup de complaisance qui donne l’impression que la rédactrice fait du copinage dans un conflit de voisinage…

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    • Nathalie Vauchez
      Publié le 10 février 2023

      Ah bon ? Vous avez dû mal lire l’article. Je relaie bien les plaintes des personnes concernées et qui m’ont alertée et j’apporte les réponses des élus et d’un architecte, je cite leurs propos, ce ne sont pas les miens… D’ailleurs, je ne comprends pas vous me soupçonnez de copinage avec qui ? Les plaignants ou les nouveaux voisins ?

  • Au feu !
    Publié le 9 février 2023

    Bravo pour vos articles, et notamment celui-ci très éclairant sur l’évolution de l’île…. Nous avons de notre côté, à Ars en Ré, un vrai sujet : opposition totale au projet de Nouveau Centre de secours et d’incendie. … sujet auquel nous aimerions rallier les médias qui comme le vôtre, défendent notre charme unique (votre rêve 3023). Pétition et lettre ouverte, recours, sont prêts à partir. A partager avec vous ?

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  • Annechaga
    Publié le 15 février 2023

    Bonjour, merci pour cet article, complet et très intéressant sur le sujet !
    J’ai vu construire cette maison et longtemps j’ai pensé, à tort a posteriori, que la construction serait stoppée pour non conformité ; je plains réellement les voisins qui n’ont plus un seul rayon de soleil chez eux et pas davantage d’intimité.
    Je lis qu’un échange à l’initiative voisins avec les propriétaires constructeurs serait plus efficace qu’un recours mais peut-être qu’une concertation en amont de la construction avec les voisins aurait été plus apaisante que de leur imposer ainsi une telle nuisance . Excellente intervention de mon point de vue de Monsieur Quillet concernant le droit d’appréciation des maires et les leviers d’action dont ils disposent en de tels cas, qu’ils les activent .. ou pas 😉

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  • Tucson17
    Publié le 15 février 2023

    Bonjour
    Afin d’augmenter les recettes fiscales de sa commune, un maire est toujours tenté d’accorder de nouveaux PC. Il faudrait, je pense, imposer des quotas de croissance annuelle par zone géographique pour limiter le bétonnage sur l’ile… la limitation à la baisse des parcelles constructibles est stupide car purement administrative et on en voit les conséquences qui, évidemment, n’ont pas été anticipées par les technocrates !
    Cordialement

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