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Le chantier de l’impossible réconciliation
La réunion publique du 27 juin avait commencé dans une volonté de dialogue du préfet. En fin de séance, après des échanges houleux, le divorce entre les acteurs du chantier Marcel Paul et les parents, enseignants et riverains était bel et bien consommé.

« On a mal géré en début de chantier l’impact sur les riverains, il a été traité comme s’il était en zone industrielle, alors qu’on est en zone habitée, on n’a pas été performant » (préfet). « On regrette la situation » (Brownfields). « Si on avait pu éviter un tel fiasco, dans ce climat anxiogène, on aurait fait le maximum pour l’éviter » (maire de La Rochelle). « Avec cette nouvelle réunion, on a essayé de rétablir la confiance » (préfet en fin de réunion), diront successivement les acteurs publics et privés de ce chantier. Pour la confiance, ce sera peine perdue.
Le préfet, Brice Blondel, rejoint par le maire, Thibaut Guiraud, et le directeur général de Brownfields, Abdelkrim Bouchelaghen, ainsi que son directeur environnement, Pierre Leménager, ont tenté de présenter leur démarche et de convaincre leur auditoire, en vain. Très vite agacé, l’opérateur privé du chantier s’est assis sur le banc de touche, laissant préfet et maire batailler avec des interlocuteurs coriaces. Pris en étau entre le marteau et l’enclume, le représentant du BRGM semblait peu à l’aise. Ce fut au final un dialogue de sourds, avec suffisamment d’approximations et de réponses non apportées à d’insistantes questions d’un public très au fait du sujet, pourtant technique, pour confirmer ses doutes déjà bien ancrés. D’un côté l’assurance d’un discours très formaté, de l’autre l’énergie de parents et riverains extrêmement inquiets. Tout comme quelques professionnels de santé présents qui alertent notamment sur les risques à long terme de cancers et autres maladies pédiatriques.
Sondage des sols profonds
L’objectif des sondages était la caractérisation du terrain à l’issue des travaux réalisés en 2024, afin de « lever les doutes relatifs à l’état résiduel du terrain et définir les meilleures modalités de reprise des travaux. » 57 sondages ont ainsi été réalisés du 22 au 28 avril 2025 selon un protocole validé par le BRGM, 180 échantillons ont été collectés et analysés. Bilan : pas de nouveau traceur représentatif de pollution concentrée identifié, 20 échantillons présentant un dépassement des objectifs de réhabilitation, et un arrêté préfectoral complémentaire du 18 avril respecté.
Protocole de reprise des travaux
« Validé par le BRGM », la finalité est de « traiter les zones résiduelles présentant un dépassement des objectifs de réhabilitation en tenant compte de l’enjeu sanitaire, des nuisances olfactives, de l’avis des experts indépendants du BRGM et de l’INERIS, des contraintes techniques, et de la compatibilité sanitaire et environnementale du site avec son usage futur. »
Ce scénario « prudent et protecteur » consiste en l’excavation et l’élimination des terres en filière agréée « avec moyens de gestion des nuisances renforcés : mise en place d’une tente déportée avec système de traitement d’air sur filtre à charbon actif pour gérer les matériaux pouvant présenter un risque d’odeur, aspiratrice, surveillance environnementale renforcée, hydrocovering, brumisation… »
Côté gestion du risque sanitaire un seuil de benzène à ne pas dépasser de 20 microgrammes par m3, contre 27 000 microgrammes auparavant – une décision qui fera jurisprudence selon Brownfields/ Speed Rehab – mesuré par PID mobile avec en cas de dépassement identification de la provenance, moyens complémentaires mis en oeuvre et sécurisation. Idem pour tout dépassement de naphtalène au-delà de 210 microgrammes/m3.
Quant aux moyens mobilisés pour la surveillance environnementale, ils consistent en un chromatographe mobile (benzène, naphtalène), positionné sur un des quatre points prédéfinis, à adapter au cours du chantier selon la météo (direction vent), pour contrôler le seuil de benzène et maîtriser les nuisances olfactives, ainsi que des mesures PID, avec maintien du contrôle long terme en limite de site.
Après la préparation du chantier, les travaux de maniement des terres polluées vont démarrer le 21 juillet, avec pour impératif une fin des travaux de réhabilitation du site fin août, avant la rentrée scolaire.
Une fois ces travaux de dépollution achevés, une analyse des risques résiduels sera réalisée, l’avis du BRGM rendu, suivi d’une visite et PV de recolement, et de l’arrrêté préfectoral de compatibilité avec les usages futurs. En gros, le préfet donnera son accord pour lancer le chantier du projet immobilier Vinci.
Des parents, enseignants et riverains vent debout
Cette présentation a été maintes fois interrompue par des participants formulant leur incompréhension. Pourquoi la mise sous tente intégrale du chantier (avec plusieurs tentes puisque l’installation d’un grand dôme est empêchée par le bâtiment au centre du chantier) avec système de filtration de l’air, demandée depuis plusieurs mois par parents, riverains et enseignants regroupés notamment au sein de l’association Zéro Toxic n’est-elle pas mise en oeuvre ? « Cela prendrait trop de temps et risquerait de remuer de la terre polluée. » Pourquoi l’avis consultatif du BRGM, déjà partiel sur certains points, n’est-il pas suivi dans son intégralité par les opérateurs du chantier, avec par exemple un seul chromatographe mis en place au lieu des quatre préconisés ? « Un seul est disponible. Mais on le déplacera sur les différents points. » Pourquoi Le risque sanitaire n’est-il pas analysé sur l’ensemble des polluants présents : Hydrocarbures (HAP), composés organiques volatils (BTEX), métaux lourds et cyanure et ne repose que sur des analyses partielles fournies par Speed Rehab concernant les seuls benzène et naphtalène ? Quid de l’effet cocktail ? Référence est faite par le préfet au rapport de la toxicologue du Centre anti-poison. « Pourquoi celui-ci n’a-t-il pas fait, comme il est de coutume, l’objet d’une validation scientifique par un pair ou un comité de lecture ? » « Pourquoi le suivi médical et psychologique des victimes des intoxications n’est-il toujours pas mis en place, avec registre épidémiologique à la clé ? » Sur ce point, le maire de La Rochelle s’est engagé – comme le préfet à la fin 2024 – à lancer un suivi des enfants et adultes exposés. Mais est-ce bien de son ressort et pas plutôt le rôle de l’ARS, « la grande absente de ce dossier, comme elle l’est systématiquement. » nous confirmeront plusieurs interlocuteurs.
« C’est inquiétant de constater que l’on ne prend pas soin de notre santé en France »
Face à de telles levées de boucliers, force est de s’interroger sur la légitimité de poursuivre le projet de construction immobilière, une fois le chantier de dépollution achevé. Le jeu en vaut-il réellement la chandelle ? Le risque peut-il être décemment pris ? Qui aujourd’hui peut affirmer que les milliers de personnes exposées – ce que plus personne ne conteste aujourd’hui – parmi lesquelles plusieurs centaines d’enfants et adolescents, ne subiront pas des conséquences sur leur santé à moyen et long terme ?
Présent au côté des enseignants, des familles et des riverains dès le mois de septembre, l’élu écologiste Jean-Marc Soubeste ne mâche pas ses mots. « Le chantier reprend dans un contexte d’inquiétude et de défiance. Le rapport du BRGM a été mis en ligne par la préfecture deux jours avant la réunion, c’est court pour analyser 500 pages d’un rapport, qui présente quelques failles. Les analyses d’échantillons ne concernent pas les métaux lourds, on n’a pas de réponse en termes de toxicité. On sait que les cocktails de molécules ont des effets délétères sur la santé à long terme. C’est un protocole au rabais qui est proposé par Brownfields. Les élus et responsables devraient écouter les lanceurs d’alertes qui se sont manifestés dès septembre 2024, voire dès 2019 dans les comités de quartiers. Toutes les précautions ne sont pas prises. De plus, cette dépollution n’est que partielle, le site est tellement pollué profondément qu’il ne sera jamais dépollué. Et quid du parking souterrain et de la ventilation extrêmement élevée qui sera nécessaire ? Mais il y a tellement d’intérêts en jeu. La porte de sortie pour la mairie est de racheter le terrain. Il faut en attendant que les travaux soient suspendus et que tout le monde se mette autour de la table après les élections de mars 2026 pour décider de façon concertée de l’avenir à donner à ce lieu. Car enfin, sont en jeu seulement cent logements à mettre en regard de l’objectif annuel du PLUi de la CdA de La Rochelle de construire mille sept cents logements chaque année. »
Pourquoi les autorités n’appliquent-elles pas le principe de précaution ? Le risque pénal encouru par tous les acteurs du projet a été évoqué lors de la réunion. « La préfecture et la mairie ont peur d’être attaquées par l’opérateur privé Vinci, les risques de contentieux sur le Permis de Construire seraient réels. »
Pourquoi l’ARS n’a-t-elle pas mis en place un suivi épidémiologique de cohorte ? « Sollicitée dès septembre, elle n’a pas réagi, c’est inquiétant de constater que l’on ne prend pas soin de notre santé en France. », répond l’élu écologiste.
Quant à la supposée baisse de rentabilité du projet liée à ces contraintes renforcées de dépollution, Jean-Marc Soubeste la balaie d’un revers de la main : « Les opérateurs de ces chantiers de dépollution bénéficient du fonds friche instauré en 2022/2023 et qui vise à inciter les collectivités à construire sur les friches industrielles, souvent pas en zones habitables. Celui-ci peut financer jusqu’à 80 % voire 100 % de la dépollution, je ne m’inquiète pas pour Brownfields/Vinci ! »
Le registre épidémiologique, un outil fondamental
De son côté, sollicité par nos soins, si le député Olivier Falorni se dit concerné comme citoyen, puis comme député, les compétences de son mandat « ne (lui) permettent pas d’intervenir dans ce dossier piloté par le préfet et le maire ». « Toutefois, face à ce chantier dont toutes les autorités s’accordent à dire qu’il a été très mal géré et dont la pollution qui en est issue est avérée, je réitère auprès de l’ARS ma proposition de voir s’ouvrir un registre épidémiologique. Ce registre permettrait ainsi de collecter, stocker, analyser et interpréter les données de santé des victimes des épisodes de pollution. C’est un outil fondamental pour étudier les causes, les facteurs de risque et les déterminants d’une maladie qui viendrait à se déclencher d’ici quelques années. Il recenserait en premier lieu les personnes victimes des émanations d’hydrocarbures et de goudron liquide qui ont entraîné des céphalées, vertiges, nausées… mais également tous les nouveaux cas. »
« Enfin, je souhaite que ce dossier fasse l’objet d’une très grande surveillance de la qualité de l’air avec des données accessibles publiquement et d’une concertation locale indispensable pour rassurer les citoyens et associer les parties prenantes avant toute construction. », conclue le député dans l’écrit qu’il nous a transmis.
Zéro Toxic sur tous les fronts
Toujours extrêmement déterminée et rassemblant plusieurs centaines d’adhérents (en 6 mois), l’association Zéro Toxic poursuit son combat sur tous les fronts : analyses indépendantes des sols, des poussières, de sang et des cheveux – et à ce stade les résultats ne sont pas du tout rassurants ; actions sur le terrain judiciaire ; mobilisation des troupes chaque fois que nécessaire ; médiatisation ; conseil auprès de plusieurs collectifs dans différentes villes de France confrontées au même « mode opératoire » que celui conduit à La Rochelle depuis août 2024.
Ses demandes sont toujours les mêmes : arrêt définitif du chantier de construction et rachat du foncier par la Ville ou l’Etat pour sanctuariser et végétaliser le site, mise sous dôme intégral du chantier de réhabilitation, expertise indépendante en matière d’analyses des sols, de l’eau, de l’air et des risques sanitaires associés, suivi médical de cohorte de l’ensemble des victimes du chantier par un labo indépendant avec soutien financier de l’Etat et dédommagements des préjudices subis par les victimes.
Finira-t-elle par être entendue ? Le chemin sera long.
Lire aussi notre précédent article : www.realahune.fr/un-chantierau-parfum-de-scandale/
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