Une levée de boucliers quasi générale
Le manque d’information sur le projet, les craintes pour l’environnement et les risques de conflits d’usages ont entraîné des réactions hostiles des élus locaux, des associations et des usagers du Fier d’Ars.

« La moindre des choses, c’est de présenter ce type de projet dans les communes et à l’intercommunalité, surtout quand cela concerne l’environnement du Fier d’Ars », regrette Lionel Quillet, maire de Loix et président de la Communauté de Communes. A La Couarde, également concernée par l’enquête publique, on rejette la méthode et on dénonce le manque d’informations. « Nous avons très peu d’éléments tangibles : quels types d’algues, quelle technique sera utilisée, quelle est la localisation précise ? », questionne Patrick Rayton. Même si le maire concède « qu’on est quand même pas sur un parc éolien », il s’inquiète du positionnement du projet « presque dans le chenal d’accès du Fier d’Ars ». Les quatre municipalités du nord de l’île (Loix, Les Portes, La Couarde, Ars-en-Ré) soumises à l’enquête publique se sont prononcées contre le projet. De son côté, Tanguy Gauvin, co-fondateur d’Algorythme, avoue avoir été surpris par la polémique, à laquelle il ne s’attendait pas vraiment. « Nous ne sommes pas des étrangers, nous ne sortons pas de nulle part. Nous pensions que ça déclencherait plutôt une certaine fierté territoriale, quelque chose considérée comme positive pour notre île ».
« Pas de façon sauvage ! »
Ce n’est pas tout à fait exact, car la plupart des élus reconnaissent avoir été séduits, en 2016, par la démarche de cette « start-up » innovante, l’algoculture représentant une filière d’avenir pour le territoire. « J’ai fait preuve de bienveillance avec eux dès le départ, j’ai trouvé leur initiative extrêmement intéressante, même si depuis deux ans, on s’est un peu perdu de vue », confie Lionel Quillet. Du côté de la mairie d’Ars, les élus ont toujours fait en sorte d’accompagner Algorythme, jusqu’à très récemment. « Nous avons eu une réunion le 1er septembre dernier avec les représentants d’Algorythme, de la DDTM et de la Région à propos du terrain que la commune loue à Algorythme. C’est un bail précaire, et il s’agissait de voir sous quelle forme juridique nous pouvions faire évoluer les choses », explique la maire Danièle Pétiniaud-Gros. Alors que la réunion s’est déroulée dans un esprit « positif », l’élue casserone avoue son étonnement total lorsqu’elle a découvert l’enquête publique quelques jours plus tard : « Personne n’a fait mention de ce projet lors de cette réunion ! ». Loin d’être opposée à la culture des algues, elle réclame, comme les autres élus du nord de l’île, des études environnementales. « Quand on implante un projet d’une telle taille dans un environnement comme le Fier d’Ars, il y a forcément des conséquences. On ne peut pas envisager ça de façon sauvage ».
Si la méthode a irrité, le projet n’est pas condamné pour autant. « C’est un projet extrêmement porteur qui peut être intéressant pour le territoire, concède Lionel Quillet. Mais il faut tout reprendre depuis le départ, mettre les différents partenaires autour d’une table, revoir la localisation. Et surtout, il faut savoir ce qu’il se passera en matière de biodiversité, de courantologie, de sédimentation… bref, c’est le principe de l’étude d’impact ». Le président de la CdC estime que l’entreprise a tout à gagner à faire les choses de façon transparente car « en cas de recours, cela peut durer des années… »
Fragilité des écosystèmes
En attendant, les ostréiculteurs travaillant dans le Fier d’Ars sont vent debout. Pascal Constancin, qui possède des parcs juste à côté du projet d’algoculture, est exaspéré par sa taille et son positionnement. « C’est placé en plein courant à l’entrée du chenal, les algues risquent de freiner le courant et l’évacuation de l’eau », explique le professionnel. Outre les craintes d’une prolifération des algues, comme c’est déjà le cas avec les sargasses 1, il pointe l’absence d’étude environnementale et insiste sur la fragilité de cet écosystème. « Le Fier d’Ars, c’est un bassin d’Arcachon en plus petit, il faut très peu de choses pour le déstabiliser. On est sur un site protégé, je pense qu’il y a de la place ailleurs ». Du côté des plaisanciers, la colère gronde. « On n’est pas d’accord, c’est clair et net. Tout le monde est contre, pas contre la culture des algues, mais pas ici. Il faut arrêter avec le Fier d’Ars ! », s’agace Jean-Luc Bénard, président de l’Association des usagers du port d’Ars (AUPAR). Lequel pointe l’absence d’étude d’impact et la taille du projet à l’entrée du Fier. « Si les algues prolifèrent, ça va saloper tout le Fier », craint Jean-Luc Bénard. Alors qu’il a fallu « des années » afin d’avoir l’accord de l’administration pour draguer le chenal du Fier d’Ars, en raison des contraintes environnementales et réglementaires, il dénonce la « méthode cavalière de l’administration » sans concertation et sans étude d’impact préalable 2. Surtout, il prédit que les plaisanciers feront les frais, à terme, de ce projet d’algoculture. « La LPO a déjà neutralisé la moitié du Fier d’Ars pour la navigation. A terme, on nous dira que les bateaux gênent à cet endroit ».
« Une très belle histoire… »
Outre les conflits d’usage, les craintes pour l’environnement sont partagées par les associations. « On ne sait rien des aménagements prévus. Dans des endroits sensibles comme le Fier d’Ars et la Fosse de Loix, qui sont des zones en cours de comblement sédimentaire, dès que vous ajoutez quelque chose, cela accélère la sédimentation et l’eau ne rentre plus », explique Dominique Chevillon, président de Ré Nature Environnement. Il connaît parfaitement l’entrée du Fier d’Ars pour y avoir étudié la faune avec les membres de son association. « C’est un estran avec une très grande biodiversité mais d’une grande fragilité ». Outre l’aspect environnemental, Dominique Chevillon ne cache pas son scepticisme sur ce genre de projet, qui n’aurait selon lui rien de nouveau. « Depuis cinquante ans, on voit des gens qui viennent s’installer sur l’île de Ré pour y faire de l’algoculture. Aucune de ces exploitations n’a réussi ». Dans les marais, l’eau ne serait pas assez profonde et trop chaude, surtout avec le réchauffement climatique, ce qui créerait une « incompatibilité technique » avec la culture d’algues. Dans le milieu naturel, l’île de Ré ne disposerait pas de champs d’algues exploitables comme on en trouve par exemple en mer d’Iroise. Quant à la technique de la biostimulation, mise en avant par Algorythme, Dominique Chevillon est encore plus circonspect. « Que des gens coupent les algues avec des petits ciseaux, c’est une très belle histoire à laquelle j’ai du mal à croire… »
(1) Espèce invasive vraisemblablement introduite accidentellement par le ballast d’un bateau.
(2) Voir explications dans l’article ci-dessus.
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