Un homme et un artiste hors-norme
Jean-Jacques Vergnaud est décédé dans la nuit du 18 au 19 décembre 2019. Né en 1944, à Paris, dans une famille limousine, qui a donné à la France de grands serviteurs de l’État – Roland Vergnaud, son frère cadet sera Conseiller général de Charente-Maritime et maire de Rivedoux de 1977 à 1983 et son père Robert Vergnaud, également maire de Rivedoux de 1965 à 1977, débutera sa carrière dans les ambassades en tant que conseiller commercial avant de devenir directeur de l’Aviation civile française, puis Président-Directeur-Général d’Air Inter -, Jean-Jacques choisira une autre route. Personnage hors-norme dans tous les sens du terme, il sera peintre, sculpteur, auteur, mélomane et journaliste.
Une enfance hors-norme
Dès ses jeune années, Jean-Jacques connaîtra une enfance hors-norme vivant, au gré des affectations de son père, dans les ambassades d’Argentine, d’Italie, du Brésil, il absorbera les cultures comme les langues de ces pays dont la lumière, les couleurs, les parfums et la musique le marqueront à jamais. Élevé dans le raffinement des ambassades de la République, il y rencontre de nombreux artistes ou écrivains, qui le fascinent et l’influenceront : André Malraux, Jacqueline de Romilly, Hélène Carrière d’Encausse, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir … Sensible dès ses plus jeunes années à l’art et à la beauté, Rome le comblera. Il y découvre les grands noms de la peinture et de la sculpture italienne : Le Caravage, Donatello… qu’il copie pour se faire la main dans les églises et les musées où il passe son temps au lieu d’aller en classe ! À la Villa Médicis, Jacques Ramondot, Paul Guiramand et André Brasilier le conseillent à l’occasion sur ses prouesses artistiques. À son retour en France où il est scolarisé pour la première fois, les enseignants le considèrent comme un ovni. Seul un professeur de philosophie de l’École Alsacienne saura comprendre cet élève hors-norme et, pour la première fois, les résultats scolaires de Jean-Jacques seront bons ! Son père ayant finalement accepté qu’il poursuive des études artistiques, il entre à l’atelier Met de Penninghen et Jacques d’Andon. Cependant, il a l’impression de ne rien y apprendre et refuse, après avoir passé le concours d’entrée avec succès, d’intégrer les Beaux Arts.
Un séjour fondateur
Au lieu d’entrer aux Beaux Arts, Jean-Jacques s’envole pour le Brésil. But avoué : aller à la rencontre des indiens, s’imaginant que, puisqu’il connaissait le pays, il saurait se débrouiller. But moins avouable : le soulagement de mettre un océan entre lui et son père ! S’étant rendu dans le nord-est de l’Amazonie, du côté de la rivière Biobio, il est accueilli, sauvé en fait, à la suite d’une longue marche solitaire dans la forêt, par une tribu où il restera plusieurs mois. Ce sont finalement les indiens qui, estimant que son futur était ailleurs, le raccompagneront jusqu’aux portes d’une mission, première étape vers la vie dite civilisée. Jean-Jacques déclarera, à son retour, qu’il avait plus appris avec cette tribu qu’avec tous ses précédents professeurs et sa vie durant célèbrera leur finesse, leur intelligence et leur bon sens.
La rencontre avec Marcel Dassault
De retour en France, il faut bien vivre et Jean-Jacques cherche un emploi. Rien n’a jamais été banal dans sa vie, la rencontre avec Dassault moins que tout autre. En 1965, ce dernier constitue l’équipe du futur quotidien 24 Heures. Jean-Jacques se rend à un entretien avec Dassault qui est immédiatement séduit par le personnage, sorte d’extraterrestre de plus de deux mètres de haut, à qui il signe le 15 septembre 1965 un contrat de travail portant la mention « embauché à vie parce qu’il ne sait rien faire.». C’est ainsi que Jean Jacques se trouve recruté pour … Jours de France, le quotidien 24 Heures n’ayant pas duré beaucoup plus que 24 heures. C’est le début d’une complicité entre les deux hommes qui ne se démentira jamais et ne finira qu’avec la mort de l’industriel en 1986.
La relation particulière qu’il entretient avec Marcel Dassault fait qu’il assurera au sein de l’hebdomadaire aussi bien les responsabilités de directeur artistique que de reporter. Sa vie dans les ambassades lui a enseigné les bonnes manières, il est élégant, porte bien le smoking et le nœud papillon. Quant à sa culture, elle lui permet de participer à n’importe quelle conversation. Dassault apprécie. Époque riche de rencontres dans les mondes littéraire et artistique dont Jean-Jacques saura tirer tout le bénéfice. C’est aussi le moment des reportages à l’étranger en Indonésie, en Amérique du Sud, en Afrique et dans le monde entier et probablement l’une des périodes les plus heureuses de sa vie.
Un artiste multiforme
Jean-Jacques Vergnaud n’a jamais cessé de peindre quelles que soient ses activités. Il va se construire, s’enrichir au contact des artistes et écrivains qu’il rencontre et des civilisations qu’il découvre. La technique seule, froide et sans âme, ne lui suffira plus. Elle est toujours présente, mais seulement pour étayer sa pensée et son art. Ses toiles, la plupart du temps de grands formats, appartiennent à ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui « la nouvelle figuration », mais il est difficile d’enfermer cet artiste multiforme dans une catégorie. Son œuvre picturale est vaste, ses huiles sont traversées des grands thèmes existentiels que l’on retrouve dans ses écrits et l’on y sent l’influence des grands maîtres, depuis les Espagnols (Goya, Vélasquez, Le Gréco, Zurbaran) jusqu’aux primitifs italiens (Giotto, Cimabue, Fra Angelico, Lorenzetti) auxquels il voue une admiration sans borne ainsi qu’à Francis Bacon.
Autodidacte, influencé par la vision des pays où il a vécu, chacun de ses tableaux comme l’écrivait Bernard George « est une proposition d’espace et de pensée qui laisse au spectateur la responsabilité de sa propre réponse. » L’aquarelle, facilement transportable, est un autre mode d’expression qui lui convient. Sa façon très personnelle de traiter ce matériau se rapproche de la peinture à l’huile, sans pour autant en perdre ses qualités de transparence. Il excelle à capter la lumière comme le montrent ses petits formats de l’île de Ré. Quant à ses dessins humoristiques, ce sont de joyeuses parenthèses émaillant sa vie artistique. Il a ainsi créé pour Ré à la Hune le personnage de Sarah Bernache dont un recueil est paru en 2015 et plus récemment celui de Yago le Rat, lancé en 2018 sur les réseaux sociaux. À ses moments perdus, Jean-Jacques inventait et dessinait des meubles, peut-être en souvenir de son grand-père ébéniste. En fait, il fait un peu penser à Picasso : un morceau de ficelle ou de bois, une motte de glaise sont prétextes à faire œuvre d’art !
L’écrivain
Lorsqu’il ne peignait pas, Jean-Jacques écrivait des pièces de théâtre, dont la plus jouée est Dreyfus et le cul-de-jatte Bernard qui rencontra un vif succès au festival d’Avignon en 2002. On y retrouve une grande partie des thèmes qui hantent son œuvre : la dignité humaine, la difficulté de vivre dans une société où l’argent est roi, le respect et la tolérance.
Côté roman, il s’était adonné ces dernières années à l’art du quatre mains avec son épouse Catherine Salez. En 2013, ils écrivent ensemble 1870, l’année terrible, le Second Empire étant un thème de prédilection de Jean-Jacques : « Mon arrière grand-père, surnommé Badinguet, était le fils naturel de Napoléon III. Il habitait à Chatraix, près de Limoges, ville ou étaient limogés ceux dont on voulait se débarrasser. De cela, il reste dans la famille une épingle en or et quelques bibelots. Je me suis mis à fond dans la peau du personnage. » Ils écriront également ensemble Le mystère de l’Abbaye des Châteliers, un roman historique où l’on parle aussi…de peinture !
Personnage hors-norme, il occupait l’espace, visuel et sonore, comme il occupait notre réflexion ou notre amitié, de manière parfois excessive, mais toujours inoubliable. Il laisse une femme, trois enfants, cinq petits-enfants et une foultitude d’amis à qui il manquera énormément.
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