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Un Couardais sur une île déserte
En mission pour les TAAF* depuis septembre 2024, Thomas Berti partage avec nous son expérience sur Tromelin.

Située à cinq cents kilomètres de la première présence humaine, c’est la plus petite des îles Éparses. L’isolement et les climats extrêmes font de ce minuscule territoire (un kilomètre carré) un véritable laboratoire naturel de recherche scientifique. Les variables démographiques des espèces animales et végétales endémiques, très sensibles aux perturbations de leur environnement, sont un indicateur précieux de l’évolution des écosystèmes face aux changements climatiques et à l’impact de la présence humaine.
Tous les trois mois, une nouvelle équipe foule cette terre vierge pour y mettre en oeuvre un programme d’étude et de conservation.
Chef de mission, infirmier, responsable technique et agent de l’environnement, tous ont été soigneusement sélectionnés pour leur aptitude à endurer la vie en vase clos. Thomas a choisi de s’engager pour une année complète. Ainsi nous le retrouvons après sa seconde installation (lire aussi notre précédent article, voir encadré).
Ré à la Hune : L’équipe est donc différente à présent. Comment te sens-tu ?
Thomas Berti : Je suis de retour depuis un mois et content de revenir. D’autant que nous accueillons exceptionnellement un cinquième intervenant. L’île Amsterdam a été touchée par un incendie, tous les agents présents ont dû être relocalisés. Celui qui était en charge de la biosécurité nous a rejoint. Nos missions sont assez complémentaires et le temps dégagé me permet d’élargir mon champ d’investigation. J’ai pu remettre au goût du jour une analyse sur les sternes fuligineuses. Comme elles ne sont pas baguées, je dois compter directement sur la colonie le nombre de poussins, d’adultes en incubation pour identifier les pics de reproduction. Avant la première campagne d’éradication des rongeurs en 2005, seules deux espèces d’oiseaux marins nichaient sur l’île, aujourd’hui il y en a sept !
Par rapport à l’intitulé de départ et maintenant que tu es impliqué sur place, comment ressens-tu ta mission ?
En termes de travail, s’agissant de tout ce qui est environnement, je n’ai pas eu de grosses surprises. Je fais vraiment ce pour quoi j’ai été recruté et j’adore ça. Le petit étonnement concerne la vie sur base dont la gestion se révèle bien plus importante que je ne l’aurais imaginé. Les tâches ménagères, les problèmes électriques, le générateur (nous avons perdu deux réfrigérateurs récemment et le prochain ravitaillement par le Marion Dufresne** est prévu dans deux mois) … Même si le responsable technique nous épaule : la débrouille est de mise !
Cela se passe en bonne intelligence dans l’équipe ?
Je trouve que l’équilibre est encore meilleur que sur ma dernière mission. J’apprécie la pertinence de chacun, notamment de la cheffe de mission dont c’est la deuxième participation. Nous partageons nos expériences, particulièrement avec l’agent technique qui a débuté sur Kerguelen en 1999 et travaillé depuis sur toutes les îles Éparses et Australes.
Quelles sont tes tâches au quotidien ?
Je commence ma journée à l’aube lorsqu’il fait encore assez frais, par un tour « tortues ». Il s’agit de les compter, et cela prend environ deux heures. Nous nous basons sur un document de gestion, une sorte de feuille de route dont nous tirons des protocoles à mettre à jour. Actuellement j’effectue aussi un recensement de Noddi bruns (espèce dont la reproduction sur l’île a repris il y a environ 15 ans). Tant que la démographie continue d’augmenter, c’est bon signe. Sur le chemin du retour et à l’entour, je prends soin de m’assurer qu’il n’y ait pas d’espèces exotiques envahissantes. Si je remarque quelque chose d’anormal, je prends une photo et l’envoie au conservatoire botanique pour analyse. La plante est-elle arrivée naturellement (par le vent, les oiseaux, la mer…) ? Est-ce l’homme qui l’a introduite (une graine) ? Auquel cas il conviendra d’éradiquer l’espèce.
À ce stade de la journée, il fait déjà 30°, c’est supportable avec le vent mais le sable blanc et l’absence d’arbres créent une luminosité presque aveuglante. On se retrouve donc tous pour déjeuner. Ce moment permet de vérifier que chacun se sent bien. Nous contactons chaque jour le siège des TAAF à La Réunion, sans quoi nos pilotes seraient aux aguets.
L’après-midi est pour partie consacrée à l’administratif : comptes-rendus et rapports permettent de définir les contours des futures missions et de maintenir la continuité entre les agents qui se succèdent.
As-tu appris des choses auxquelles tu ne t’attendais pas ?
Le milieu est très différent de ce que j’avais appris à observer à l’île de Ré, il n’y a pas de prédateurs, pas de mammifères en dehors de l’homme, c’est très difficile à mesurer pour un regard extérieur, sauf à pénétrer une terre si particulière, jamais investie par l’humain. La crainte vis-à-vis de l’homme n’est pas présente. Souvent le soir, les oiseaux sont curieux de voir ce que je fais, se posent sur ma tête ou mon épaule.
J’ai été très ému de voir l’île si petite en hélicoptère lorsque je l’ai quittée la première fois. J’en ai une connaissance exhaustive. Dès que survient une naissance, comme le premier fou à pieds rouges de l’année, c’est un évènement ! En termes d’observation et d’ornithologie, c’est forcément unique. Je découvre aussi les protocoles de botanique qui n’étaient pas ma formation première.
Comment appréhendes-tu ton retour ?
Du point de vue relationnel, le lien est très dense car nous sommes toujours ensemble, parfois un peu les uns sur les autres. Même si nos journées ne se ressemblent pas, nous évoluons en groupe restreint dans une solidarité essentielle en marge de nos profils très différents, de notre histoire personnelle. Nous sommes totalement débarrassés des oripeaux sociétaux et cette posture permet de se comprendre plus simplement. Quoique vigilants sur le respect de l’autre dans nos manières de vivre, la façon d’être est à l’essentiel.
On ne peut pas s’évader ! Il est probable qu’à l‘issue de nos missions nous coupions un peu ce lien sans doute indéfectible avant de reprendre contact.
Il me faudra quelques jours de recul pour m’adapter à mon retour. La vie brouillée du monde et l’agitation ambiante risquent d’être difficiles à appréhender.
As-tu déjà une idée pour te projeter ?
Avoir collaboré avec les TAAF constitue une vraie carte de visite. Je vais poursuivre dans une région bien moins exotique mais sur un sujet tout aussi passionnant avec la LPO, sur le vison d’Europe, espèce qui me passionne depuis plus de dix ans. Ce mammifère est encore présent dans les marais de Rochefort et dans le bassin de la Charente. Pour sauvegarder l’espèce, des individus issus d’élevages vont être relâchés en milieu naturel pour renforcer les populations. Mon rôle sera d’évaluer la possibilité de sauver l’espèce grâce à la translocation.
*TAAF : Terres australes et antarctiques françaises.
**Marion Dufresne : Navire ravitailleur des TAAF. Ce bateau polyvalent (paquebot, cargo, pétrolier et porte-hélicoptère) dispose de 650 m² de laboratoire. Affrété par l’Ifremer pour des missions scientifiques, il est à la pointe de la recherche océanographique.
Lire notre précédent article paru en septembre 2024 : www.realahune.fr/ dune-ile-a-lautrethomas-berti-chausse-ses-bottes-de-7-lieues-entre-reet- tromelin/ Thomas Berti apparaît dans un récent reportage du magazine « Des Racines et des ailes » : www.france.tv/france-3/des-racines-et-des-ailes/7119191- passion-patrimoine-mon-ile-a-la-reunion.html

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