Environnement

Interview

Quelle viabilité du projet éolien Sud-Atlantique ?

© philbar
Publié le 17/11/2022

Alors que le Préfet de Charente-Maritime a annoncé lors d’une conférence de presse mardi 18 octobre le lancement du projet de parc éolien, dont la mise en service serait projetée pour 2030, le Rétais Dominique Chevillon, tête de proue de l’opposition à ce projet, notamment via le Collectif NEMO, monte à nouveau au créneau.

Dominique Chevillon estime que la question de l’utilité du projet dans cette zone protégée n’a jamais été débattue dans le cadre du Débat Public et doute de sa viabilité.

Ré à la Hune : Qu’est-ce qui vous fait douter de la viabilité du projet ?

Dominique Chevillon : La question « Êtes-vous pour ? » n’a jamais été posée, alors qu’elle est centrale. Le contexte national et international a changé et après vingt ans d’expérience d’éolien offshore en Mer du Nord et en Baltique on voit les professionnels – tel General Electric – réduire la voilure, la viabilité de ces projets étant posée. Dans le contexte actuel les prix sont durablement inconnus au niveau des matériaux, des produits semi-finis et finis. L’énergie que permettrait de produire ces parcs français est à coûts inconnus.

Seconde inconnue : l’approvisionnement en composants et matériaux rentrant dans la composition des parcs éoliens, à technologie complexe, n’est pas durablement assuré.

Par ailleurs on est à technologie inconnue à ce jour puisque tous les parcs éoliens posés en mer le sont par profondeurs maximales de 25 à 30 mètres. Or le premier parc envisagé au large de nos côtes serait posé entre – 50 à – 60 mètres de profondeur.

On ne maîtrise pas la technologie, le premier parc posé serait de l’ordre du prototype : poser des mâts de 280 mètres de hauteur et au potentiel de 15 MW chacun dans les contraintes océaniques du Golfe de Gascogne, très différentes de celle de la Mer du Nord, on ne l’a jamais fait.

Ce sont de vraies inconnues qui questionnent sur la faisabilité du premier projet, dont on ne connaît absolument pas la viabilité économique, en termes de prix, d’approvisionnement et de technologies. Aujourd’hui il n’existe pas un parc dans les mêmes conditions que celles du Golfe de Gascogne. Quant à la technologie pour l’éolien flottant elle est aussi inconnue.

Vous contestez aussi le modèle économique de l’Etat ?

L’Etat va devoir créer à côté, pour chaque GW d’énergie intermittente, solaire ou éolienne, un GW d’énergie pilotable : centrale thermique ou, comme à Saint- Brieuc, centrale au gaz. Quel gaz ? A défaut du gaz russe, du gaz algérien, italien ou encore du gaz de Schiste ? La France ne dispose que de deux terminaux de gaz liquéfié. Il va devoir doubler le coût de l’énergie.

Le raccordement entre les mâts de pilotage et la station en mer puis le lieu de réception du courant sur le réseau haute tension s’étendra sur au moins 70 km à terre et 30 à 50 km en mer. Ce modèle économique inconnu n’a pas été discuté en France, à Dunkerque ou Dieppe on est sur 15 km de raccordement.

Le projet verra le jour au plus tôt en 2030, plus vraisemblablement en 2032-2033, il faut raisonner à 8 à 13 ans. On n’a jamais vu un projet industriel avec l’Etat en maîtrise d’ouvrage avoir de telles inconnues en termes de faisabilité, de viabilité économique et de conséquences environnementales et socio-économiques.

Le modèle économique est inconnu tant pour les industriels que pour l’Etat. Pour les premiers ce n’est pas trop grave car ils négocient avec l’Etat le prix de l’électricité achetée par celui-ci, qui est majoré pendant quatre ans. Ce n’est toutefois pas sérieux, les industriels vendent des prestations à coûts inconnus. On voit bien que cela se traduit par le fait que les vrais industriels de l’éolien s’inquiètent de cette situation, l’article du journal Les Echos du 23 octobre dernier « La déconfiture de l’éolien se déploie en Europe » traduit bien ces inquiétudes, avec la suppression prévue de quatre mille emplois en Europe qui marquent bien le retournement du marché. La France, à contretemps, investit alors que les Allemands, les Néerlandais, les Américains désinvestissent dans cette industrie.

L’éolien est fait avant tout de béton et de ferraille, et de production d’électricité, cette dernière ne représentant qu’une petite partie de l’économie des projets. Ce grand marché extrêmement rentable a été doublé d’une financiarisation forte, malgré des investissements considérables, car dans une première phase de développement de l’éolien l’Etat a tellement subventionné les projets qu’il a attiré les financiers de tous bords. On entre dans une seconde phase, où les Etats sont beaucoup plus regardants sur les subventions accordées. Le système se retourne et la générosité des Etats européens se tarit. Sauf en France, pays de grande gabegie économique et financière, jamais connue jusque-là, qui pourrait le conduire à sa faillite.

Bref, ce dossier est devenu insupportable sur les plans économique et financier, en ayant choisi une zone dans laquelle les conséquences environnementales et socio-économiques sur la pêche notamment sont extrêmement importantes, sans que l’Etat ne les ai encore abordées.

Qu’en est-il au plan environnemental et socio-économique justement ?

La décision de l’Etat a été prise sans avoir fait d’études environnementales et socio-économiques, la meilleure preuve en est que l’Etat annonce que les études vont démarrer courant 2023, reconnaissant ainsi implicitement qu’il n’a à ce stade aucune notion des conséquences notamment pour la pêche et pour l’environnement. Et il en est de même pour le raccordement passant par le Pertuis d’Antioche ou au Sud d’Oléron vers Arvert.

A partir de 2016/2017 l’Etat a pris deux décisions : on ne fait pas d’études préalables, on peut tout faire sans connaissance des conséquences ; et les zones Natura 2000 sont compatibles avec des projets industriels, ce qui aurait été impensable avant.

Le Préfet a rappelé que le Président a annoncé que les pêcheurs auraient accès aux zones de pêche à l’intérieur du parc éolien ? La France va avoir deux différenciations fortes : ce sera la seule à implanter un parc en Zone Natura 2000 et le premier pays au monde à accepter des pêcheurs dans des lieux dangereux, fréquentés par des industriels… Quid de leur sécurité ?

Un nouvel article des Echos en date du 8 novembre 2022, intitulé « Les parcs éoliens en mer ravivent la colère des pêcheurs », prouve s’il en était besoin l’ampleur de la fronde. Les dirigeants des pêcheurs du Comité Régional des Pêches de Nouvelle Aquitaine ont raison de maintenir que les grappes de zones éoliennes d’Oléron, Ré et autres vont détruire la lèche sur cette zone de pêche essentielle. Même le Président du Comité Régional des Pêches de la Région Pays de Loire le reconnaît dans cet article, alors qu’il a été l’un des promoteurs du Parc de Saint Nazaire – La Baule. Tous les pêcheurs des façades maritimes le reconnaissent aujourd’hui, ils se sont faits floués, donnant raison au Président du Comité Régional de Nouvelle Aquitaine, Johnny Wahl, qui s’est toujours opposé et maintient son refus du parc d’Oléron… Je ne serais pas étonné que demain un front uni des pêcheurs de France se constitue contre les zones éoliennes qui sont annoncées par le gouvernement a 50 GW !

Quid des recettes fiscales de ces projets ?

C’est une autre inconnue : qui se partagera les recettes fiscales ? La répartition est clairement définie dans la zone territoriale jusqu’à douze mille marins, or on est là à vingt mille. Le Préfet vous a annoncé qu’une réflexion est en cours à ce sujet et que les textes vont évoluer quant à la clé de répartition des 800 M€ à un milliard d’€ sur la période.

On sait qu’avant tout l’OFB (Office français de la biodiversité) sera bénéficiaire d’une grande partie de ces recettes fiscales, ce qui est un scandale car c’est cet organisme et son Conseil d’Administration qui décident de la viabilité d’un parc éolien offshore.

Les recours gracieux risquent ils de se transformer en actions contentieuses ?

Ils sont au nombre de quinze, émanant d’une collectivité locale, d’une organisation professionnelle, d’associations citoyennes ou de protection de l’environnement, quinze recours gracieux déposés contre le projet : Saint-Pierre d’Oléron, 8 associations de protection de l’environnement (LPO, ASPAS, NE17….), 3 associations citoyennes, Comité Régional des Pêches de Nouvelle-Aquitaine, Association Initiatives pour le Climat et l’Energie, Oléron Nature Environnement. L’Etat a deux mois à partir de la date de chaque recours, pour apporter éventuellement une réponse. Il est probable que certains de ces courriers soient suivis d’une action juridique devant le Conseil d’Etat, voire au niveau des juridictions européennes et internationales non européennes. Ce dossier est loin d’être franco-français, il viole trois directives européennes : celle sur la programmation obligatoire des activités en mer et celles sur les oiseaux et sur les habitats. La sortie du Parc Naturel Marin n’empêche pas les désordres et incidences.

Au final, croyez-vous que ce projet sera mené à son terme ?

Ne soyons pas abusé par le discours offensif du Gouvernement. Ce projet industriel éolien marin Sud- Atlantique, véritable écocide dans des zones protégées, comporte des risques nombreux et non maîtrisés. Sont-ils d’ailleurs maîtrisables dans le contexte national et international actuel ?

Aucun projet industriel de ce type dont la réalisation est à un horizon de 8 à 10 ans (voire plus) n’échappe à une nouvelle donne économique, financière, sociale et écologique voire politique que nous estimons durable.

Ce projet évalué à 3 ou 4 milliards d’euros (voire beaucoup plus !) à prix aujourd’hui inconnu, à approvisionnements inconnus, à technologies inconnues, à conséquences socio-économiques inconnues (emplois de la pêche notamment), à conséquences écologiques inconnues (les études débuteraient maintenant), à risques juridiques inconnus (qui peut être sûr des décisions futures du Conseil d’État et de la Cour Européenne de justice ? ), à risques sociaux inconnus (quelle acceptabilité pour ce projet massivement rejeté lors du Débat Public) est un projet à risques non maîtrisés et non maîtrisables dans le contexte international et national actuel.

L’État a déjà reculé trois fois à Oléron, qui peut assurer qu’il ne reculera pas une 4ème fois dans le contexte actuel ? La solution n’est-elle pas une implantation encore plus à l’ouest, dans un timing plus long ? Avec un projet plus assuré, plus maîtrisé, plus viable, plus acceptable… dans toutes ses dimensions.

Propos recueillis par Nathalie Vauchez

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Vos réactions

  • APSSC
    Publié le 11 novembre 2022

    Documents tout aussi remarquables que l’article « récifs artificiels, vrai ou faux », auxquels on ne peut apporter qu’un immense soutien, et qui laissent espérer une 4ème étude du projet, plus réfléchie de l’État.

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  • Jojoderé
    Publié le 11 novembre 2022

    Dans le flot d’approximations et de contre vérités contenu dans l’interview de D.Chevillon je souhaite apporter quelques points et précisions difficilement contestables relatives aux ENR et à l’Eolien
    en particulier
    Tout d’abord: La Commission de régulation de l’énergie vient de publier une nouvelle estimation des recettes que procurent à l’État les renouvelables : au total, 31 milliards d’euros sur 2022 et 2023, une évaluation en forte hausse par rapport à celle de juillet dernier.
    La filière éolienne terrestre contribue majoritairement à cette recette à hauteur de 21,7 Md€ (précédemment évaluée à 7,6 Md€). La filière photovoltaïque, dont la CRE estimait en juillet qu’elle représenterait une dépense de 900 millions d’euros, contribuera à ces recettes à hauteur de 3,5 Md€, la filière hydraulique à hauteur de 1,7 Md€. La filière du biométhane injecté contribue également à hauteur de 0,9 Md€ (au lieu de constituer une dépense de 500 millions).
    La raison principale de cette évolution, c’est la hausse de la valorisation sur les marchés de gros de l’électricité des productions éoliennes, solaires et de biogaz. Entre la hausse des prix du gaz, qui résulte largement de la guerre en Ukraine (mais qui avait démarré avant du fait de la forte reprise économique post-confinements), et la faiblesse du parc nucléaire français, une part croissante de l’électricité française voit son prix refléter celui de l’électricité produite avec du gaz, en France ou ailleurs en Europe.
    D’autre part l’installation de parcs éoliens en mer est en pleine accélération ( nombrE et puissance ) et ce sur tous les continents
    Le parc éolien en mer le plus puissant de la planète développe actuellement 1,3 GW. Il s’agit d’Hornsea 2, au large des côtes du Yorkshire en mer du Nord. Celui de Chaozhou en Chine sera… 33 fois plus puissant ! Ce projet de gigantesque parc éolien offshore dévoilé récemment devrait pulvériser les records de la filière.

    À cet endroit, la profondeur s’étale entre 200 et 500 m, ce qui contraindra certainement à déployer des éoliennes flottantes plus coûteuses et complexes que les éoliennes « posées ».

    Le parc éolien en mer le plus puissant de la planète développe actuellement 1,3 GW.

    Les plus grands projets de fermes éoliennes en mer se contentent en effet de 5 GW pour le plus avancé (Doggerbank, Écosse) et 8,2 GW pour le moins abouti (Sinan, Corée du Sud). Le site chinois, qui développera une puissance déconcertante de 43,3 GW, sera situé de 75 à 185 km au large de la ville de Chaozhou, au sud du détroit de Taïwan.

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  • dchevillon
    Publié le 16 novembre 2022

    en réponse à Jojoderé,
    je lui conseille de lire LES ECHOS entreprises et marchés page 17 du 8 novembre 2022 sur le sujet des 31 milliards de recettes pour l’État français sur les années 2022/2023, dus par les filières d’énergies renouvelables ( éolien terrestre, solaire etc) selon la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) . Cette recette est POTENTIELLE et présente un STRICT EFFET D’AUBAINE PONCTUEL car elle profite du prix du marché de l’électricité qui avoisine 500 euros le MWh alors que le prix de l’électricité acheté par l’État français et payé contractuellement aux industriels de l’électricité par l’État est garanti entre 81 et 137 euros maximum, la différence entre le prix du marché (500 euros) et les montants (entre 87 et 136 euros) allant dans les poches de l’État. Ce prix est D’AUTANT PLUS THÉORIQUE ET POTENTIEL , comme il est dit , dans cet article LES ECHOS puisque actuellement les industriels des filières énergie renouvelables rompent par anticipation les contrats passés avec l’État, la CRE chiffrant déjà à fin septembre, d’ores et déjà, une perte de l’État de l’ordre de 6 à 7 milliards d’euros sur les recettes triomphalement annoncées à 31 milliards d’euros. « Une véritable hémorragie  » selon la même CRE .
    Le titre des ECHOS  » le jack pot de l’État « est dans ce sens très révélateur. L’État français
    est dans une panade historique puisque n’ayant pas investi dans l’énergie au sens large depuis des décennies, il est réduit à subir les jeux du casino ( jack pot ou pertes abyssales ) tandis que les citoyens et entreprises que l’État doit servir, subissent les prix démentiels des carburants à la pompe et de l’électricité, le pire étant à venir.
    Jojoderé devrait noter aussi que en ligne avec mes propos sur les 4000 suppressions d’emplois actuels dans l’éolien en Europe, Shell, Naval group et leur partenaire chinois viennent de renoncer à investir dans le parc éolien offshore de Belle ile – ile de Groix aux motifs de l’envolée des prix des matériaux , de l’énergie et des menaces confirmées sur les approvisionnement …voir la Tribune du 15 novembre : Coup dur pour l’éolien en mer, Shell renonce au projet de Belle ile-Ile de Groix.
    Il devrait se renseigner aussi sur le très faible développement annoncé de l’éolien offshore en Europe pour les mêmes causes et incertitudes citées plus haut plutôt que « se doper » au réalisation future de l’éolien offshore en Chine .
    La Chine siège de l’industrie mondiale de tous les produits et pays sans endettement aucun, se moquent des prix et des incertitudes des approvisionnement, elle a accumulé de telles richesses financières qu’elles ne comptent pas ses dépenses, elle n’arrivera pas à dépenser tout l’argent qu’elle a accumulé. Il en va différemment de la France très endettée et sans industries.
    Les perspectives de l’éolien offshore en France sont donc très réservées malgré le discours offensif de l’État français. L’avenir nous le dira, mais l’économie réelle n’est pas le casino ! Fort heureusement …

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