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Mathilde Jounot, la « voix des invisibles »
Avec Océans 3, elle n’en est pas à son premier travail sur le milieu maritime. Comment et pourquoi s’y est-elle intéressée, qui est-elle ? Entretien avec Mathilde Jounot On me définit souvent comme « une réalisatrice d’investigation », sourit au téléphone Mathilde Jounot.
« Je ne me vois pas forcément comme ça. L’investigation, c’est quand on enquête à la recherche de documents secrets. Or, nombre de mes sources sont publiques et accessibles à tous », explique la réalisatrice en référence au fameux Arrêté préfectoral breton d’avril 2017.
Mathilde Jounot est aussi journaliste, résolument. Elle analyse, pose des questions, essaye de comprendre comme tout à chacun pourrait (devrait ?) le faire. Elle pose les faits sur des images.
Tout commence en travaillant sur les Mémoires d’un armateur de Terre- Neuve. La Malouine Mathilde Jounot « tombe dans le milieu de la pêche ». L’aventure ne fait que commencer.
A la conquête des océans
En 2016, la réalisatrice s’intéresse aux milieux halieutiques. Les pêcheurs se braquent vite. « Les premières rencontres ne sont pas simples », reconnaît Mathilde évoquant un échange peu amène (qui a été filmé) avec un pêcheur pourtant de ses amis. « Conspués, souvent perçus comme des voyous, les pêcheurs sont néanmoins primordiaux », explique Mathilde. Ces ‘Invisibles’, Mathilde les considère comme « les indiens des mers ». Riches de la connaissance de leur milieu et de ce que l’on appelle sur terre ‘le bon sens paysan’, ils savent aussi se réunir pour organiser et gérer les ressources.
L’invisible, c’est aussi la question de la privatisation des océans, le fil que remonte Mathilde Jounot et il nous emmène loin. « Aux Seychelles, une grosse ONG paye la dette du pays et crée la plus grande réserve marine mondiale », explique Mathilde. « Puis un trust est mis en place pour la mise en gestion de 30% de la surface maritime… cela interroge, car de quoi s’agit-il finalement ? », poursuit la journaliste. La réponse est édifiante. « Océans 1 – La voix des invisibles » sera récompensé par le Prix du Documentaire Regards sur le monde et la Médaille de l’Académie de Marine et Océans 2 sélectionné dans quarante-cinq festivals français et internationaux.
Des pêcheurs lanceurs d’alerte
Au fil de deux films, Mathilde a créé un lien de confiance respectueuse avec les pêcheurs. Et c’est l’un d’entre eux, Olivier Becquet, Gérant de la CAPA (Coopérative des Artisans et Pêcheurs Associés) au Tréport, territoire également concerné par l’éolien, qui l’interpelle. « Il m’a appelée trois ou quatre fois pendant que je tournais Océans 2 », raconte Mathilde. « Les pêcheurs sont souvent dans le juste mais ils s’y prennent mal », poursuit-elle, « je ne comprenais rien à ce qu’il me disait ». Enfin, il utilise un mot clé : ‘Mathilde, tu ne comprends pas, nous sommes au milieu d’une nurserie’.
Interpellée, la journaliste part au Tréport puis à Bruxelles, un séjour payé par la CAPA elle-même. Océans 3 vient de démarrer.
« Le message des pêcheurs n’est pas toujours simple à comprendre », explique la réalisatrice. « Ils ne sont que 18 à 20 000 en France, l’économie de la pêche est ridicule par rapport à d’autres activités, mais c’est une activité primaire, il s’agit d’alimentation. Sont-ils destructeurs de l’environnement ? C’est à voir. En tous cas, ça arrange tout le monde qu’ils ne s’expriment pas bien » conclut-elle.
Sur ce qu’évoque Océans 3, Mathilde Jounot ne mâche pas ses mots. « On est en train de faire pire que sur terre », énonce-t-elle simplement, « de l’industrie polluante sur le domaine public avec une gestion hors de contrôle par les marchés financiers et non par les citoyens. Est-ce l’avenir que nous voulons ? » interroge la journaliste qui prépare déjà Océans 4 pour le printemps 2022.
« Après tout ça, je souhaite montrer des choses positives », nous explique-t-elle constatant que son film Océans 3 « fait partie du combat ». « Il enclenche un engrenage de réflexion qui entraîne l’action », poursuit-elle, prenant pour exemple notre projection rétaise mais aussi la traduction en cours de ses trois films à destination d’un Festival International galicien. « Les gens échangent, des citoyens, des associations s’organisent et se battent. Il y a des moments très durs mais il faut tenir ».
Ici, ailleurs, dans la Baie de Saint- Brieuc où des choses se passent à l’heure où s’écrivent ces lignes.
« On retrouve la politique au sens noble du terme, une nouvelle démocratie », conclut Mathilde Jounot.
C’est sûr, la « drôle de guerre » n’est pas terminée.
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