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Le site de la bataille du Pont du Feneau au coeur d’un projet pharaonique
Une nouvelle association, île de Ré Patrimoine, souhaite entamer dès 2025 un chantier de fouilles sur le site d’une des dernières grandes batailles des guerres de religion, et projette à terme la création d’un musée. Explications.
C’est une bataille qui a marqué l’histoire de l’île de Ré, et au-delà celle de l’histoire de France et de l’Angleterre. La bataille du Pont du Feneau du 8 novembre 1627, une des dernières des guerres de religion en France, a vu la déroute de l’armée britannique de Buckingham, dont environ trois mille hommes auraient péri dans les marais de la Davière, en tentant de rejoindre Loix (voir encadré). Indalecio Alvarez, journaliste de l’Agence France Presse (AFP) qui fréquente le village d’Ars-en- Ré depuis une vingtaine d’années, découvre il y a quelques années, à l’intérieur de l’église d’Ars, une stèle en marbre « aux morts de la bataille d’Ars » de 1625. N’ayant jamais entendu parler de cet évènement, il entreprend des recherches et découvre qu’il s’agit d’une des dernières batailles rangées entre catholiques et protestants, deux années avant celle plus célèbre du Pont du Feneau (voir encadré). Il entreprend une enquête au long cours, à l’issue de laquelle il estime avoir découvert les sites de ces deux batailles1.
La faute à Kemmerer ?
Selon Indalecio Alvarez, on ignorait notamment l’endroit exact où s’était déroulée la bataille du pont du Feneau le 8 novembre 1627. La « faute » à l’historien Eugène Kemmerer qui l’avait placé par erreur dans son « Histoire de l’île de Ré », publiée en 1868, à l’endroit de l’actuel « Pont du Feneau », qui date de 1808 et sans lien avec le site historique. Depuis, les différents auteurs auraient repris cette information pour argent comptant, sans même la vérifier. S’il n’est pas rare de trouver certains articles de presse, même récents, reprenant le Pont du Feneau de 1808 comme lieu de la bataille, l’historien local Jacques Boucard réfute cet anachronisme historique. « C’est connu depuis longtemps que la bataille ne s’est pas déroulée au niveau du pont actuel, de l’époque napoléonienne, mais à environ 800 mètres plus à l’ouest. C’était d’ailleurs déjà mentionné dès 1702 sur la carte de Claude Masse ».
Quand on consulte l’« Histoire de l’île de Ré, des origines à nos jours », ouvrage de référence publié en 2016, il faut bien reconnaitre que la localisation du champ de bataille n’est pas vraiment détaillée. On peut y lire le passage suivant : « Après avoir traversé La Couarde, les troupes de Toiras se retrouvent face aux Anglais au pont de Feneau, seule voie d’accès à Loix. Le combat est meurtrier ; les Anglais fuient vers la pointe de Grouin et s’embarquent dans le désordre. Buckingham peut mesurer l’étendue de sa défaite. Deux mille hommes ont trouvé la mort dans cet affrontement ultime ainsi que deux cents chevaux ».
« Chasse au trésor »
Pour localiser le site de la bataille, les fondateurs de l’association île de Ré Patrimoine affirment également avoir pu croiser les récits britanniques et français de l’époque indiquant une maison fortifiée du XVIème siècle appelée « La Davière » et les détails apportés par la réapparition en 2009 d’un tableau oublié2 de Laurent de La Hyre, acquis aux enchères chez Sotheby’s par le musée de l’Armée. On y voit à la fois le domaine de la Davière et sa maison-forte protestante, acteur et témoin de la bataille, ainsi que le chemin emprunté par les troupes britanniques avec une iconographie si précise qu’on peut imaginer que le peintre était présent au moment de la bataille. Jacques Boucard rappelle que le tableau de Laurent de La Hyre n’avait pas « échappé » aux historiens locaux, et qu’il a d’ailleurs été reproduit dans « l’Histoire de l’île de Ré » publiée en 2016.
D’autre part, Indalecio Alvarez pense avoir retrouvé le Chemin des Anglais, c’est-à-dire le remblai réalisé sur une digue de marais par les Anglais, entre septembre et octobre 1627, pour assurer le repli des troupes vers la fosse de Loix. Connu aujourd’hui comme « le chemin de la Davière », il est en partie devenu, sur sa partie ouest, une piste cyclable. Il s’est appuyé sur les écrits de Jacques qui en avait donné en 1629 le parcours détaillé : « A trois ou quatre cents pas plus loin, cette chaussée aboutit à un petit pont en bois ; de là, elle tourne à droite pendant quatre-vingts pas environ, puis à gauche pendant près de deux cents pas et enfin elle fait un coude de cent vingt pas pour aboutir à un second pont de bois pouvant donner accès à six cavaliers de front et construit par les Anglais sur le chenal nommé ‘le passage’, qui sépare l’île de Loix de l’île de Ré et est large de quarante pas »3. Un peu comme une « chasse au trésor », Indalecio Alvarez a refait le parcours des Anglais à pied, en suivant simplement les indices disséminés dans ce texte. Considéré comme un texte important, ce récit d’Isnard est pourtant connu depuis longtemps. « C’est un texte en latin qui avait été traduit par Emile Atgier vers 1850, et qui est considéré comme le texte de référence sur ces évènements », confie Jacques Boucard.
Le grand mérite d’Indalecio Alvarez, c’est d’avoir potentiellement retrouvé les restes topographiques de cette bataille, très bien conservés par la présence de marais qui ont peu bougé depuis quatre siècles. Il a eu l’idée de croiser ses découvertes sur le terrain avec une vue aérienne Google Earth du secteur. « C’est spectaculaire car quand on va sur le terrain, ça devient clair, tous les éléments sont encore là ». Sans parler de la maison forte de La Davière, son porche d’origine (visible sur le tableau de La Hyre) et son mur d’enceinte vieux de quatre siècles, on peut ainsi voir comment le pont du Feneau (un pont flottant en bois) enjambait de biais le chenal et permettait d’accéder au retranchement bâti par les ingénieurs britanniques entre septembre et octobre 1627 afin de protéger l’armée une fois qu’elle aurait franchi le pont. Ce retranchement, en forme de demilune, est comme « gravé » dans la terre du marais, comme le montre l’image aérienne Google Earth (voir photo). Indalecio Alvarez a également travaillé sur les archives anglaises, qui donnent une lecture à la fois différente et plus détaillée de cette bataille, qui n’avaient visiblement pas fait l’objet d’études assez approfondies.
Campagne de fouilles
Au-delà de savoir qui a découvert quoi, c’est la mise en valeur du site qui est au coeur de l’ambition de la nouvelle association. Dans un premier temps, Indalecio Alvarez s’est rapproché de la Communauté de Communes de l’île de Ré, et fut même à l’origine de la signature d’une convention le 3 avril 2023 entre le musée de l’Armée et la CdC de l’île de Ré4. Mais lui et son association voyaient les choses beaucoup plus en grand que le « volet institutionnel » des commémorations organisées par la CdC (voir entrefilet). Il envisage carrément une campagne de prospection en 2025, puis de fouilles entre 2026 et 2028 afin de retrouver les vestiges de la première armée britannique de l’Histoire5, dispersés tout le long du chemin et autour du pont du Feneau. Outre les ossements de certains des trois mille soldats enfouis dans les marais de Ré, Indalecio Alvarez s’attend à mettre au jour des armes, des cuirasses etc. « Cela pourrait permettre de retrouver les vestiges du retranchement et sans doute aussi, dans le chenal, du pont du Feneau historique (en bois), brûlé par les Britanniques à l’aube du 9 mai 1627 ». Encore faut-il avoir les autorisations de l’Etat pour effectuer de telles fouilles, sans parler des moyens, qui pourraient se chiffrer à plusieurs centaines de milliers d’euros ! Sur le premier point, Indalecio Alvarez mise sur le fait que les terrains du champ de bataille appartiennent déjà à l’Etat (Département et Safer Nouvelle-Aquitaine). Sur le second point, l’association a déjà pris contact avec la Région et le Département qui l’auraient assuré de leur soutien, ainsi qu’avec des fondations privées. Un Conseil scientifique, composé d’historiens comme Benjamin Deruelle (Université de Montréal), a été constitué et des bourses de recherche sur les évènements des années 1625- 1627 seront octroyées à des étudiants de maîtrise dans un premier temps, puis de doctorat.
Un musée ?
Très ambitieux, Indalecio Alvarez projette à plus long terme la construction d’un centre d’interprétation ou d’un musée, où seraient racontées les guerres de religion sur l’île de Ré et entreposés les objets issus des fouilles ! Les bâtiments de l’ancien camping de la Davière, laissés à l’abandon suite à la tempête Xynthia, pourraient offrir un lieu idoine pour un tel projet. « C’est un projet patrimonial de territoire qui pour but de protéger, récupérer et mettre en valeur les sites du siège de l’île de Ré ». Pour l’association, le projet ne se limite pas à la bataille du pont du Feneau, mais également à celle d’Ars et à tous les évènements qui ont marqué l’île de Ré entre 1625 et 1627 et qui ont changé la face de l’Histoire. Cette victoire des troupes de Louis XIII sur l’île de Ré prive les huguenots et leurs alliés anglais d’un avant-poste crucial pour assurer le ravitaillement et le secours de La Rochelle, dernier grand bastion du protestantisme en France. Le siège et la chute de La Rochelle, l’année suivante (1627-1628), en sont donc une conséquence directe. « Nous voulons mettre en place un Arc mémoriel des guerres de religion. Dans le nord de l’île, ces lieux de mémoire ont été délaissés alors que les marais sont classés Natura 2000. On a protégé la valeur naturelle, ce qui est très bien, mais on a oublié la valeur culturelle et mémorielle », explique Indalecio Alvarez. Nul doute que ce projet pharaonique, qui permettrait selon lui de développer un tourisme culturel et mémoriel durable, risque de faire jaser sur l’île de Ré…
(1) Celle de 1625 se serait déroulée dans la plaine d’Ars, au niveau du Moulin de la Boire.
(2) Présent dans des collections privées, ce tableau était seulement connu par une gravure conservée à la Bibliothèque nationale de France.
(3) « Siège du Fort de Saint-Martin et fuite des Anglais de l’île de Ré ». Jacques Isnard, 1629.
(4) Indalecio Alvarez fait partie du comité scientifique mis en place par la CdC dans le cadre des commémorations des 400 ans des guerres de religion.
(5) L’union des couronnes britanniques est réalisée avec l’accession en 1603 de Jacques VI Stuart, roi d’Ecosse, au trône d’Angleterre et d’Irlande, sous le nom de Jacques Ier. Ce n’est donc pas l’armée anglaise qui se bat sur l’île de Ré, mais bien pour la première fois une armée « britannique ».
Les commémorations des 400 ans des guerres de religion sur l’île de Ré
A ce jour, le programme des commémorations des 400 ans des guerres de religion, organisées par la CdC de l’île de Ré, est en cours de conception. Parmi les temps forts, un colloque scientifique, ouvert au public (sur réservations en septembre) se tiendra les 27, 28 et 29 novembre prochains sur La Rochelle et sur l’île de Ré. Une publication des actes du colloque aura lieu en 2025, et une exposition se tiendra à une date non définie (entre 2026 et 2028). Par ailleurs, une signalétique spécifique a été conçue en lien avec les évènements des années 1625-1628. Les plaques sont en cours d’installation mais aucune date d’inauguration n’a, à ce jour, été déterminée. Elles seront sur site et visibles du grand public d’ici la fin de l’année 2024.
Le contexte historique de la bataille du Pont du Feneau
En décembre 1620, La Rochelle, qui s’est imposée comme la capitale du protestantisme dans l’Hexagone, se rebelle contre le pouvoir royal catholique et se tourne vers l’Angleterre. En 1621, l’assemblée protestante met à sa tête le duc Henri de Rohan, représentant l’aile « dure » du mouvement, son frère Soubise s’assurant de la maitrise de l’île de Ré. En janvier 1625, Soubise organise une expédition navale contre la flotte royale qui croise au large des îles. Dès que le roi de France Louis XIII apprend ces manoeuvres, il lance la reconquête de l’île. Le 14 septembre 1625, le duc de Montmorency débarque avec la flotte royale à la pointe du Gros-Jonc (Les Portes). Le lendemain, l’armée royale arrive à Ars, à hauteur du moulin de la Boire : la bataille d’Ars (16 septembre 1625), parfois oubliée dans l’histoire, est pourtant un évènement important des guerres de religion. Elle voit la victoire de l’armée française catholique contre les troupes de Soubise : 1200 soldats protestants jonchent le sol au milieu de la plaine d’Ars, entre la Boire et le Martray.
Le 17 septembre, une bataille navale voit la flotte royale prendre ou couler la plupart des navires rochelais. Après la capitulation des huguenots, Louis XIII accorde néanmoins son pardon aux protestants Rétais. Si l’île de Ré est désormais sous autorité royale, elle reste une conquête fragile : Louis XIII ordonne la construction à la hâte de plusieurs fortifications dont la redoute du Martray, le fort de la Prée ou encore la citadelle de Saint- Martin, qui sont à peine terminés lorsque les hostilités reprennent deux ans plus tard.
En 1627, le duc de Buckingham obtient du roi Charles d’Angleterre les moyens de lever une armée afin de secourir les huguenots. Le débarquement a lieu le 21 juillet à la pointe de Sablanceaux. Toiras n’a d’autre option que de battre en retraite et d’organiser la résistance dans la citadelle de Saint-Martin, mais les troupes de Buckingham n’arrivent que le 27 devant Saint-Martin ! Certains historiens verront dans cette «lenteur» une erreur tactique de Buckingham, qui ne prend pas non plus la peine de «prendre» le stratégique fort de la Prée. Dès le 28 juillet, le chef anglais fait ouvrir des tranchées tout autour de Saint-Martin afin d’en organiser le siège, qui durera plusieurs mois.
Alors que l’hiver commence à pointer le bout du nez, la situation devient très critique pour les assiégés. Louis XIII, arrivé à proximité de La Rochelle, rassemble une grande flotte royale ainsi que 4 000 hommes pour porter secours à Toiras. Voyant les renforts arriver, Buckingham décide de lancer l’assaut sur la forteresse de Saint-Martin. C’est un échec cuisant. Le commandant en chef anglais n’a d’autre choix que de battre en retraite par Loix. Le 8 novembre 1627, l’armée royale décide alors de poursuivre les Anglais et d’attaquer l’arrière de l’armée au milieu des marais, au passage du Pont du Feneau. Si Buckingham parvient à prendre la fuite, il s’agit d’un véritable massacre pour les troupes protestantes. Bilan : 2000 à 3500 morts côté protestant. Le fond de la baie de Loix porte encore aujourd’hui le nom de « Fosse aux Anglais ».
(1) Sources : Jdp 80, Les prémices du Siège de La Rochelle. Mathieu Delagarde. « Petite histoire de l’île de Ré », Marcel Delafosse. Editions Rupella, 1991.
Infos pratiques :
Une présentation du projet, ouverte au public (entrée libre), se tiendra le jeudi 6 juin à 14h30 à la Salle des Fêtes d’Ars-en-Ré, en présence d’Indalecio Alvarez, présidentfondateur d’île de Ré Patrimoine, et des historiens Benjamin Deruelle (Université du Québec à Montréal), Pauline Lafille (Université de Limoges), Mathieu Vivas (Université de Lille) et Frédéric Auger (Université de Québec).
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Vos réactions
Bonjour,
J’habite rue de l’Abbaye à Loix à une centaine de mètres du port. Lors de la tempête de 1999 un arbre étant tombé de mon jardin, j’ai pu extraire la souche et dans la terre j’ai trouvé quelque chose qui ressemble fortement à un boulet de canon.
Si cet objet intéresse monsieur Indalecio Alvarez je me tiens à sa disposition pour qu’il l’examine.
Bien cordialement
Norbert FAUREAU
« Commémorer » des massacres accomplis au nom de Dieu me paraît une drôle d’idée. Drôle d’idée aussi d’aller abîmer des marais pour essayer de trouver des squelettes et des épées rouillées pour les mettre dans un musée de plus. Le musée de l’horreur? L’île a déjà Karola, qui suffit bien. Ce qu’on peut déjà lire sur ce projet coûteux ne dit rien du fond historique : les soldats professionnels de Louis XIII tuaient les hommes et aussi la liberté de conscience.
Si on y tient, quelques plaques par ci, par là, suffiraient bien, ou une salle au musée de Saint Martin.