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Le cyberharcèlement sexuel, fléau de notre société connectée
Le cyberharcèlement sexuel d’enfants et adolescents explose, entraînant sa cohorte de drames humains. Les enquêteurs et la justice sont stupéfaits et démunis face aux faits qu’ils découvrent chaque jour, émanant de pédo-criminels agissant le plus souvent en toute impunité. La prévention est ainsi un levier d’action essentiel. Témoignages rétais et rencontre avec la Gendarmerie de Saint-Martin de Ré…
Deux témoignages sur l’île de Ré
Un dimanche matin tranquille sur l’île de Ré, Juliette*, à peine 10 ans, déboule en pleurs et complètement paniquée dans le salon familial : « Elle va publier les photos de moi, nue, sur les réseaux sociaux, Maman ne me gronde pas, elle me harcèle depuis 30 minutes sur Instagram et menace de dire du mal de moi à tous mes amis ». Première réaction de la maman qui pense d’abord à un chantage entre enfants : un message à l’interlocutrice de sa fille, censée être une enfant de 10 ans, habitant Lyon : « Nous sommes les parents et nous allons immédiatement porter plainte en gendarmerie ». Son but : que les photos (des captures d’écran depuis la Story Instagram) ne soient pas publiées. Puis rapide présence d’esprit, faire des photos de l’écran de téléphone. A peine le temps de figer quelques messages, qui pourront peut-être aider les enquêteurs, et qui disparaissent tous à la vitesse éclair. Fausse panique de la soi-disant jeune interlocutrice. Qui disparaît des écrans radars. Au mieux, les captures d’écran auront été effacées, au pire elles vont alimenter les réseaux des hordes de pédophiles officiant sur le dark net, s’échangeant ou monnayant des images.
Entendues longuement par la gendarmerie de Saint-Martin, qui fait preuve d’une grande bienveillance et délicatesse dans une situation aussi sensible, mère et fille apprendront quelques semaines plus tard que le compte Instagram aurait été créé au Canada et que l’adresse mail émanerait d’un IP domicilié aux Etats-Unis. Heureusement, la petite Juliette est une enfant particulièrement équilibrée, sociable et pratiquant de nombreuses activités. Elle semble se remettre rapidement de ce bien triste épisode, qui aurait pu avoir un impact dramatique sur un enfant plus fragile. La maman, de son côté, est profondément choquée que l’on ait pu ainsi porter atteinte à l’intégrité de son enfant, et culpabilise fortement de n’avoir pas su la protéger, sous son propre toit, elle qui est d’habitude si prudente dans la « vraie vie ». L’affaire a bien sûr été signalée au Parquet et transmise à la Procureure de la République, abasourdie d’apprendre qu’une enfant de 10 ans a accès aux réseaux sociaux. Pourtant, la plupart des copains de Juliette sont dans le même cas.
Claire, collégienne de 14 ans, s’apprête à partir faire la connaissance « physique » de sa copine, avec qui elle est « en couple numérique » (une expression que va découvrir, quelque peu médusée, la gendarmerie) depuis plusieurs mois, et qui lui a donné rendez- vous sur un parking en Vendée. Les parents soupçonnent quelque chose, découvrent l’existence de cette relation et de ce rendez-vous. Direction la gendarmerie. Grâce au téléphone de Claire, les enquêteurs vont pister et arrêter sur ce parking la soi-disant jeune amoureuse vendéenne, en réalité un pédophile à la cinquantaine bien nauséabonde. Là aussi, Claire a échappé à des suites qui auraient pu être dramatiques.
Deux âges, deux filles (elles sont plus souvent victimes de cyber-pédopornographie et pédophilie, même si les garçons ne sont pas épargnés), deux « faits divers » bien de notre époque, sur une île pourtant si préservée. Du moins, c’est ce que croyaient ces deux familles.
Une explosion du harcèlement sexuel et de la pédopornographie sur la toile
Au niveau national, les quelques trop rares services dédiés à la lutte contre la pédocriminalité, témoignent constater de plus en plus d’actes de plus en plus sordides, sur des enfants de plus en plus jeunes. L’Adjudant Congar, enquêteur de la Gendarmerie de Saint-Martin, plus particulièrement dédié à toutes les « cyber-affaires », affirme recevoir de plus en plus de familles, venant porter plainte pour ce type de délits.
Sensibilisation et prévention, un levier utilisé par la Gendarmerie de l’île
Ainsi, a-t-il pris le parti de la prévention, souvent l’un des seuls leviers d’action, face à des cybercriminels très organisés et à la pointe technologique du Net. Il intervient chaque année auprès des élèves de CM1/CM2 de cinq écoles de l’île de Ré (La Flotte, Rivedoux, St Martin, Le Bois, La Couarde), dans le cadre d’une opération dénommée « Permis Internet, pour les enfants » conçue par le Ministère de l’Intérieur et la Gendarmerie Nationale. Il présente aux enfants les bonnes conduites à avoir sur Internet et sur les jeux en réseaux (et oui, les pédophiles sont aussi très présents sur les jeux vidéos…), puis remet à l’enseignant un DVD et un kit, comportant 5 à 6 heures de travail avec les enfants, dans le cadre des cours d’Education morale et civique (EMC). A la fin, après avoir répondu à un quizz, simple mais très pertinent, les enfants se voient délivrer le fameux permis, ainsi qu’un livret « Le code de bonne conduite sur Internet », qui fourmille d’infos et conseils pratiques. A mettre d’urgence entre les mains de tous les enfants… et de leurs parents.
Par ailleurs, depuis deux ans, Monsieur Congar intervient au Collège, en partenariat avec le Principal et la CPE, auprès des classes de 6ème et de 5ème, afin de les informer sur ce qui est légal et ne l’est pas, sur ce que l’on peut faire et ce que l’on n’a pas le droit de faire, notamment la diffusion non autorisée d’images personnelles. Les images à caractère pornographique ou pédopornographique sont passibles de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende, le harcèlement d’un an de prison et 1500 € d’amende, le chantage et l’extorsion de 5 ans et 75 000 €. Pour les mineurs, cela se traduit en mesures éducatives de placement et orientation. « Un collégien averti en vaut deux », explique le Gendarme, « et la plupart de ces jeunes collégiens sont surpris de ce qu’on leur apprend ». Ne pas discuter avec un inconnu, vérifier la sûreté de ses contacts, ne pas exposer sa vie, ne pas accepter de RV d’inconnus, pour les jeux en ligne rester juste dans le domaine du jeu et éviter les questions personnelles, et surtout, plus que tout, ne pas rester seul, face à cela, en parler à un prof, un parent, un ami… Le Gendarme conclue son intervention par des cas concrets, qui interpellent les enfants.
Des réseaux sociaux maîtrisés ni par les adultes, ni par les enfants
CPE au collège des Salières depuis 14 ans, Karina Corbet témoigne : « Actuellement, les adultes n’ont pas la maîtrise des réseaux sociaux. Les jeunes ont facilement accès à des images qui ne sont pas de leur âge, et qui se transfèrent très facilement d’un mobile à un autre. Les parents souvent ne sont pas au courant des pratiques de leurs enfants, qui le cachent facilement aussi, et savent très aisément se créer des comptes sur les réseaux sociaux. L’intervention du Gendarme Congar et ses messages de prévention sont extrêmement intéressants, et complètent utilement nos propres interventions auprès des 6ème et 5ème notamment, en matière de harcèlement, de droits à l’image, etc. Nous modulons nos messages selon les âges des collégiens. Tous ceux qui ont un téléphone sont présents sur les réseaux sociaux, à part 4 ou 5 collégiens, tous les élèves de 6ème ont un téléphone à leur entrée au Collège, voire bien avant. Quand je suis arrivée au collège, il y a 14 ans, les collégiens avaient un téléphone en 4ème ou 3ème, cela évolue extrêmement vite et ils ont du mal avec l’outil, à l’image de la société. Une collégienne de 4ème est intervenue dans toutes les classes, pour témoigner de ce qui lui est arrivé sur les réseaux, cela a eu un impact immédiat. Mais on constate qu’ensuite les enfants, dans la réalité de leurs pratiques, ne tiennent plus vraiment compte de ces messages. La sensibilisation que nous faisons est un travail de longue haleine, nous devons chaque année changer nos supports. Elle s’inscrit aussi dans un cadre plus large, nous avons cette année par exemple participé à la journée mondiale de la lutte contre les violences faites aux femmes, il nous faut marteler ces messages. Dès la réunion d’intégration, avec les futurs élèves de 6ème, nous conseillons fortement aux parents de contrôler l’usage du téléphone fait par leur enfant, de regarder régulièrement ce qu’il s’y passe ». Les parents sont les premiers responsables de cette sensibilisation dans le cadre de l’éducation de leurs enfants, on constate qu’ils sont souvent dépassés, à mille lieux d’imaginer ce qu’il se passe sur les réseaux sociaux. Ainsi le Collège avait-il prévu d’organiser une réunion de sensibilisation des parents, qui n’a pu se faire du fait du 1er confinement, mais reste dans les tuyaux.
Comme toujours, il est facile de juger et culpabiliser les parents, mieux les informer et les sensibiliser à un phénomène de société qui les dépasse totalement s’avérera certainement plus efficace. Force est de constater qu’ils sont souvent très démunis, tout comme les enquêteurs et la justice.
*Les prénoms ont été changés, les faits relatés sont réels
Majorité numérique L’âge à partir duquel un mineur peut s’inscrire sur des réseaux sociaux comme Facebook, Snapchat ou encore Instagram sans autorisation parentale, a été fixé à 15 ans par l’Assemblée Nationale. Et non 16 ans comme le prévoyait le Gouvernement, comme c’est le cas dans la plupart des autres pays européens.
Pour les mineurs ayant entre 13 et 15 ans, les députés ont prévu la mise en place d’un double consentement, des parents et de leurs enfants.
En dessous de 13 ans, aller sur les réseaux sociaux est interdit. Cela laisse pantois, quand on voit l’âge moyen des utilisateurs d’un réseau comme Tik Tok… Dans tous les cas, la responsabilité des parents peut être engagée
Les engagements des enfants
Sur Internet, comme dans la rue…
– Je n’échange jamais avec des inconnus
– Je ne communique jamais mes infos personnelles
– Je n’intimide personne et je ne cède pas non plus au chantage
– Je préviens mes parents si quelqu’un me menace ou si je vois quelque chose de choquant
– Je demande l’autorisation pour remplir un formulaire ou m’inscrire à un jeu
– Je respecte le temps passé
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