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« La gestion des marais de la Réserve répond à de nombreux objectifs »
À l’occasion des « Portes ouvertes des Réserves Naturelles » qui ont eu lieu partout en Charente-Maritime et en Vendée le 24 mai, focus sur Lilleau des Niges et la gestion de la LPO. Quels en sont les objectifs et les moyens employés ? Les marais sont-ils entretenus, et comment ? Quel avenir pour cette zone menacée de « maritimisation » ? Jean-Christophe Lemesle, coordinateur de la Réserve et de la Maison du Fier, répond à nos questions.

Ré à la Hune : Lilleau des Niges est une réserve nationale créée en 1980 par l’État, qui en a immédiatement confié la gestion à la LPO et à l’ASSIP*. Pouvez-vous rappeler le contexte de cette création ?
Jean-Christophe Lemesle : Dans les années 1970, le Fier d’Ars, où les oiseaux s’alimentaient à marée basse, était classé en réserve de chasse (NDLR : interdit à la chasse). Mais pas les marais. Après s’être alimentés à marée basse, ils se faisaient tirés dessus en rentrant dans les marais. Certains habitants se sont élevés contre cette situation et ont instillé l’idée de la création d’une réserve afin de créer une zone de tranquillité pour les oiseaux. La Réserve est créée en 1980 par l’État, qui en a confié la gestion à la LPO et à l’ASSIP en 1981. À l’époque, il y avait peu de candidats pour ce type de mission ! Je rappelle également qu’à ce moment-là, il n’y avait aucun marais salant en activité sur le territoire de la Réserve. C’est d’ailleurs pour cela que cette zone a été choisie. Il n’y a eu aucune expropriation, et au fil du temps, les propriétaires ont vendu leurs marais au Conservatoire du littoral qui en possède aujourd’hui 80%. Quant aux propriétaires privés, ils gardent encore aujourd’hui un droit d’accès à leurs marais. Il suffit de nous en informer avant de venir.
L’objectif de la Réserve Lilleau des Niges est donc de sauver les oiseaux ?
Oui, mais pas seulement. La Réserve a trois objectifs. Les deux premiers sont de protéger deux milieux naturels rares définis comme priorités à l’échelle européenne par Natura 2000 : les lagunes, c’est-à-dire les marais salés endigués, et les habitats intertidaux, c’est-à-dire les prés salés et les vasières. Et le troisième objectif en découle, il s’agit effectivement de protéger les oiseaux qui vivent sur ces habitats. Certains viennent en période de nidification, au printemps, d’autres en période internuptiale d’août à mars. En tout, nous avons recensé trois cents espèces d’oiseaux différentes sur la Réserve depuis sa création. Mais au-delà, c’est bien toute une biodiversité qui est protégée, toute une mosaïque de plantes ou de poissons, comme les anguilles. Et pour arriver à cela, il faut gérer les marais.
Justement, on vous reproche souvent de ne pas entretenir les marais et de les laisser s’envaser. Que répondez-vous ?
Que c’est faux bien sûr. Nous entretenons bien les marais situés sur le domaine de la Réserve. Nous sommes tout à fait conscients que l’eau doit y circuler ! Mais cette gestion est faite pour répondre aux objectifs précités. Si on veut que les canards et les oies bernaches viennent s’alimenter, il faut 40 à 60 cm d’eau pour que certaines plantes qu’ils consomment puissent pousser. Si on veut accueillir tous les petits échassiers d’eau, il faut des marais avec très peu d’eau car ils ne nagent pas mais se posent sur des zones humides où ils ont pied. Il y a aussi d’autres marais où on va construire des îlots pour que les oiseaux viennent nicher, et là il faut faire attention à ce que ces îlots ne soient pas immergés au printemps pour qu’ils puissent y installer leurs nids. Pour chaque marais, nous définissons donc, en fonction de la saison, un niveau d’eau plus ou moins important. Et ça, c’est important aussi pour les autres espèces végétales ou animales. Chaque marais a un intérêt particulier et c’est pour cela qu’ils n’ont pas tous un mètre d’eau avec des grosses variations de niveau ! Et si certains marais n’ont pas assez d’eau pour accueillir des poissons, ils accueillent des oiseaux. Sans compter que certains sont trop éloignés de la mer pour les maintenir en eau tout au long du printemps et de l’été, donc ceux-là on les garde comme zone de nidification pour les oiseaux. De plus, chaque année on fait curer, à la pelleteuse, certaines zones de marais afin de limiter l’envasement.
La morphologie de la Réserve a-t-elle beaucoup changé en quarante ans ?
La Réserve est installée sur d’anciens marais salants, et la géographie des marais n’a pas été modifiée. Elle est telle qu’elle a été conçue à l’époque de la création des marais. En revanche, quand la Réserve s’est installée, il n’y avait plus de sauniers et sur les trois-quarts de la partie terrestre, c’est-à-dire derrière les digues, l’eau ne circulait plus. C’était un gigantesque gîte à moustiques. Grâce aux importants travaux qui ont été faits pour remettre en route un réseau hydraulique très complexe, capable de renouveler les niveaux d’eau de manière efficace, il n’y a plus de problème de moustiques sur la Réserve. C’est bien la preuve que les marais sont bien gérés, que l’eau circule et que les niveaux d’eau sont maîtrisés, sans de grandes variations de niveaux dont raffolent les moustiques.
La « maritimisation » de la Réserve vous paraît-elle réellement inéluctable ?
Le changement climatique et l’élévation du niveau de la mer sont inéluctables. Le GIEC* et des centaines de scientifiques l’ont montré. Les mesures réalisées grâce à un marégraphe installé à La Rochelle montrent que le niveau de la mer s’est élevé de vingt centimètres entre 1860 et 2010. Et on sait que cela va s’accélérer. On sait aussi que la levée du Fier a une certaine altitude et qu’elle ne sera pas surélevée. Ce n’est pas souhaité par l’État qui ne l’a pas pris en compte dans le PAPI*. Compte-tenu de ces données, nous avons estimé qu’en 2050 les plus hautes mers passeraient au-dessus de certains secteurs de la levée. Et c’est bien ce qui s’est produit ponctuellement au cours de l’hiver 2023 -2024. Cela montre que nos estimations, communiquées dans le dernier plan de gestion de la Réserve, ne sont pas délirantes. La partie terrestre de la Réserve va être “maritimisée”. Je précise que “maritimisation” ne veut pas dire que la nature va disparaître ! On va perdre une partie de la biodiversité, c’est vrai, mais la nature va se réapproprier cet espace, et ça deviendra du pré salé. On le sait parce que la moitié des marais maritimes de la Réserve sont des anciens marais qui ont été repris par la mer au 19e siècle.
Vous appelez donc à une relocalisation de la Réserve, et on vous le reproche. On vous reproche également de vouloir démanteler la levée du Fier.
Commençons par la relocalisation. Avec cette maritimisation, qui n’est donc pas de notre fait, une partie des fonctionnalités écologiques (nidification, zone de reposoir de marée haute) qu’il y a sur la partie terrestre de la Réserve vont être compromises et elles doivent être retrouvées ailleurs pour que les oiseaux puissent venir nicher, se reposer. La réflexion, appuyée par un bureau d’étude missionné par l’État, est menée à l’échelle des marais du Fier, donc sur l’intégralité des communes du Nord de l’île.
Sur la question de la levée du Fier ensuite, il y a beaucoup de fausses intentions qui nous sont prêtées. Nous ne sommes pas et n’avons jamais été contre l’entretien de la levée du Fier. D’ailleurs, dans notre dernier plan de gestion, l’entretien est prévu en cas d’ébrèchement. C’est d’ailleurs grâce à cela que la commune a eu l’autorisation de la préfecture pour intervenir. Sinon il aurait fallu passer par une autorisation ministérielle, ce qui aurait pu prendre des mois, voire des années.
Autre précision, l’entretien de la levée n’est pas de notre responsabilité. La LPO est gestionnaire des marais et non des levées. C’est au propriétaire, donc à l’État, de le faire, et ce dernier n’a pas pris cette option là en l’excluant du PAPI.
Face à cette décision, nous avons simplement fait un constat dans notre dernier plan de gestion : la levée n’étant pas prise en compte par le PAPI et le niveau de la mer augmentant inéluctablement, la Réserve va à terme se “maritimiser”. Anticiper la dépollution du site fait donc partie de nos missions de gestionnaire, et le béton coulé sur la digue dans les années 60 en est un exemple. À quel horizon ? Nous ne le savons pas mais dans le plan de gestion, nous prévoyons une étude de faisabilité dans les neuf prochaines années, afin notamment d’en déterminer les coûts. En aucun cas nous ne préconisons l’abandon de l’entretien. Nous tentons juste d’anticiper toutes les possibilités.
*LPO : Ligue pour la protection des oiseaux / ASSIP : Association de sauvegarde des sites des Portes-en-Ré / GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat / PAPI : Plan d’actions de prévention des inondations.

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