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Côtes d’alerte
Longtemps délaissées par la recherche, les falaises de l’île de Ré, fortement soumises à l’érosion, sont désormais scrutées à la loupe par les scientifiques rochelais.!

Quand on parle de falaises, on visualise spontanément les paysages spectaculaires d’Etretat en Normandie, de Bonifacio en Corse ou, plus proches de nous, des côtes bretonnes. « Les falaises ne sont pas vraiment identitaires en Charente-Maritime, on pense davantage aux marais littoraux ou aux marais salants », admet Jean-Michel Carozza, professeur en géomorphologie au laboratoire rochelais Littoral, Environnement et sociétés (LIENSs). Un constat qui s’applique également à l’île de Ré, qui évoque plus spontanément les plages de sable fin ou les marais salants. Même du côté de la science, les falaises sont souvent passées sous les radars, alors qu’elles représentent tout de même 20% des côtes charentaises, soit 80 kilomètres sur un linéaire de 400 kilomètres ! « Nous avons commencé à nous y intéresser seulement en 2020, aucun article scientifique n’avait été publié avant sur les falaises », confie Jean- Michel Carozza. C’est pour remédier à ce manque de connaissance que l’université LIENSs de La Rochelle, en collaboration avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), a lancé un projet d’étude consacré à l’étude de la dynamique des falaises en Charente-Maritime.
Micro-falaises
Sur l’île de Ré, les falaises représentent un linéaire d’environ 20 kilomètres sur un total d’environ 110 kilomètres de côtes, soit un peu moins de 20% du littoral rétais. Les falaises y sont de taille relativement modeste, avec une hauteur de moins de 15 mètres pour la grande majorité. On distingue quatre grands ensembles : les secteur Rivedoux/Sainte- Marie, le secteur de La Flotte, celui de Saint-Martin et Loix. Le linéaire entre Rivedoux et les Grenettes (le plus long) est un exemple de falaises basses, de moins de 1,5 mètre de hauteur, souvent recouvertes d’un cordon dunaire. Composées de roches fragmentées par le phénomène de cryoclastie 1, ces micro-falaises calcaires et marno-calcaires représentent des remparts bien fragiles contre les assauts de l’océan. « Cela peut entraîner une fragilisation du cordon dunaire situé au-dessus », explique Jean-Michel Carozza. Lors des tempêtes hivernales, les terrains des propriétés avec vue sur mer sont régulièrement érodés, tout comme les accès à la mer.
Sur la côte Nord, les falaises de La Flotte, dans le secteur de la Prée, sont les plus significatives de l’île de Ré avec une hauteur de 7 à 10 mètres. Si la partie haute est altérée par l’érosion atmosphérique (pluie, vent, etc.), elle n’est pas fragmentée comme dans le secteur de Rivedoux. Faisant partie des sept sites de Charente-Maritime scrutés à la loupe par l’université de La Rochelle, cette falaise est la plus étudiée sur l’île de Ré. Grâce à une collecte de données depuis les années 1950 (photos aériennes et satellites, etc.), les scientifiques ont pu suivre son évolution : alors qu’elle n’a quasiment pas connu d’érosion entre 1950 et 1963, elle a subi un net recul entre 1963 et 1979. Sur la période contemporaine, elle a peu bougé entre 2021 et 2023 avant de fortement reculer en 2023-24, ce qui correspond à un hiver particulièrement tempétueux.
La « bonne » nouvelle est que les falaises rétaises reculent en moyenne de façon relativement modeste (5 à 10 centimètres par an) par rapport aux autres falaises du département (autour de 20 centimètres par an), même si la notion de recul stratégique n’est pas la même sur une île que sur le continent 2.
Gros recul à La Flotte ?
A partir des données récoltées, les scientifiques du LIENSs ont cherché à modéliser l’érosion des falaises de La Flotte à l’horizon 2050 et 2100. Ils se sont appuyés sur les projections de l’Observatoire de la côte de Nouvelle- Aquitaine (OCNA), qui avait déjà émis des hypothèses, mais en les affinant avec des dates intermédiaires 3. Là où l’OCNA envisageait un recul de 7 mètres de la falaise en 2100, les chercheurs rochelais ont modélisé un recul moyen jusqu’à 24 mètres ! « Pour une plage, les projections sont relativement simples, c’est beaucoup plus compliqué pour une falaise », prévient toutefois Jean-Michel Carozza, qui doit affiner les données dans les prochains mois.
Par ailleurs, le changement climatique, et notamment la montée des eaux, n’a été pris en compte que sur la période 1950-2014. Avec la hausse du niveau marin, estimé entre 63 et 72 centimètres à l’horizon 2104, ainsi que la possible augmentation des tempêtes, on peut s’attendre à une érosion encore plus importante. Cela ne signifie pas pour autant une érosion régulière et continue : parfois, une falaise ne bouge pas pendant des décennies, puis s’effondre d’un seul coup, comme le montrent les données historiques à La Flotte. Par ailleurs, les éboulis issus d’un effondrement viennent naturellement « protéger » le pied de falaise, créant un « effet tampon » encore difficile à évaluer. Il faut aussi noter que les matériaux issus de l’érosion des falaises jouent un rôle non négligeable dans la protection côtière. Globalement, les chercheurs ont mesuré un équilibre entre les volumes arrachés et ceux déposés. « Tous ces matériaux ne sont pas perdus, ils sont redistribués par la dérive littorale et vont alimenter les plages », explique le chercheur. Dans la mer des pertuis, qui reçoit peu de sédiments issus des fleuves 5, l’érosion des falaises apporte un volume de sédiments essentiel pour les plages.
Toujours est-il qu’on n’échappera pas à une « réflexion globale » sur les conséquences du phénomène d’érosion des falaises (voir encadré). Sur La Flotte, une réflexion devra être menée rapidement sur l’avenir à long terme de cette bande côtière. « Le chemin littoral, qui a déjà été reculé par le passé, est menacé à court terme avec une marge d’une dizaine de centimètres à certains endroits. Quand on voit la fréquentation des lieux et la valorisation touristique, il faut réfléchir dès maintenant à la gestion à moyen terme de cette bande côtière », prévient le chercheur. Une réflexion qui doit être menée sur l’ensemble des falaises de l’île de Ré, même si le recul devrait être moins important qu’à La Flotte. « Il faut envisager un recul a minima de 2,5 à 5 mètres, ce qui n’est pas négligeable », explique Jean-Michel Carozza.
1. Phénomène de gel et dégel de l’époque périglaciaire qui provoque cette fragmentation de la roche.
2. La réalité géographique d’une île fait qu’un recul des activités humaines est beaucoup plus difficile que sur le continent.
3. Là où l’OCNA n’avait pris comme base de calcul que les données de 1950 et de 2014.
4. Scénario « moyen » du GIEC, mais certaines études évoquent jusqu’à 110 centimètres de hausse. 5. Comme c’est le cas pour les secteurs proches des estuaires de la Gironde, de la Charente ou de la Seudre.
Les élus ont déjà amorcé la réflexion
Mis en place en 2013 par la CdC, l’observatoire de l’évolution du trait de côte a été étendu aux falaises en 2021. En 2023, les élus ont lancé l’élaboration de la Stratégie locale de gestion de la bande côtière (SLGBC) de l’île de Ré, permettant de bâtir un Schéma de lutte contre l’érosion à 30 ans. Ce Schéma, qui sera clôturé dans les prochaines semaines, permettra de prioriser cent actions à mettre en place. « Nous mettrons environ 1,5 million d’euros par an, avec des priorités en fonction de l’analyse coût-bénéfice », explique Patrick Rayton, premier vice-président de la CdC délégué au littoral. Lionel Quillet, président de la CdC, rappelle que « ce projet, extrêmement fort en matière d’érosion, est un des plus intéressants au niveau national ».
Par ailleurs, dans le cadre de la révision du PLUi (Plan local d’urbanisme intercommunal) en cours jusqu’en 2029, le risque érosion devra être pris en compte, avec des contraintes réglementaires supplémentaires. Des relocalisations (chemins, bâtiments ostréicoles ou commerciaux, parkings, etc.) seront envisageables dans certains cas.

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