Patrimoine

Portrait

Buckingham : un personnage controversé

© Coll. Muséee Ernest Cognacq, ville de Saint-Martin. 91.1.103 - Portrait de George Villiers, duc de Buckingham.
Publié le 14/06/2023

Qui était donc le duc de Buckingham, gentilhomme qui s’imagina devenir l’amant de la reine de France, cru pouvoir conquérir l’île de Ré, empêchant ainsi Richelieu de soumettre La Rochelle et inspira à Alexandre Dumas l’un de ses meilleurs romans ?

George Villiers vint au monde le 28 août 1592, dans une famille de vieille noblesse d’origine normande du côté paternel et venue de France du côté maternel : les Beaumont. George était le plus vif, probablement aussi le plus intelligent et à coup sûr le plus sportif des trois enfants de Lady Villiers, qui restée veuve à deux reprises, consacra son existence à assurer un bel avenir à ce fils. Après des études correctes à l’école de Billesden, en 1610, à l’âge de 18 ans, sa mère l’envoie parfaire son éducation en France, où il séjourne deux ans. La France de 1610, celle de Ravaillac, n’est pas la grande puissance européenne qu’en feront Richelieu et Louis XIV, mais elle brille cependant de l’éclat de la Renaissance et offre de nombreux divertissements à sa jeunesse dorée et aux étrangers de passage. Le futur duc de Buckingham y perfectionne non seulement son Français et son escrime, mais aussi l’art de la danse et de l’équitation. C’est un jeune homme, plein de charme, aux manières raffinées qui reviendra en Angleterre. Sa mère, exploitant tous ses réseaux, le poussera vers la Cour de Jacques 1er pour lui faire contracter un riche mariage.

L’ascension vers les sommets du pouvoir

La beauté de George ne tarde pas à attirer le regard de Jacques 1er, déjouant les plans de mariage de Lady Villiers. Le roi avait un faible pour les beaux jeunes gens qu’il aimait mettre dans son lit et avoir à ses côtés en permanence. Ce qui amenait les favoris à jouer un rôle dans les affaires du royaume et explique que le choix de ceux-ci ait été encadré par les politiciens proches du monarque.

A l’époque, la question qui divisait était la politique à suivre à l’égard des catholiques. Les conflits religieux étaient exacerbés entre les différentes factions protestantes, anglaise et écossaise. Le roi attentif à ne pas verser d’huile sur le feu veillait à s’entourer de collaborateurs agissant comme lui. Il en allait de même pour le favori qui devait être accepté de tous y compris de la reine. N’oublions pas que la seconde moitié de ce XVIIe siècle anglais débouchera sur un conflit religieux majeur doublé d’une guerre civile.

George n’est pas seulement beau et agréable, il est également intelligent, valeureux, hardi, libéral, fidèle et son jugement est sûr, mais il manque de suite dans les idées et il n’est pas réaliste. Selon les historiens, nous ne possédons pas la preuve formelle qu’il ait été l’amant du roi, bien que l’on puisse penser que ce soit le cas au début de leur rencontre, alors qu’il partageait régulièrement la chambre de celui-ci. Quoiqu’il en soit, un lien particulier se développera entre les deux hommes au-delà de la relation homosexuelle qui durera jusqu’à la mort du roi. Jusque-là, les favoris, la plupart du temps d’athlétiques jeunes Écossais qui lui rappelaient son pays natal, se succédaient auprès du monarque. Avec George, l’attachement deviendra profond et durable, quasi-filial. Somerset, le favori précédent, s’étant éliminé de lui-même, rien ne s’opposera plus à l’ascension météorique du jeune George Villiers, qui en 1617 devient conte, puis marquis et duc de Buckingham en 1623 et accède à la sphère du pouvoir.

© Coll. Muséee Ernest Cognacq, ville de Saint-Martin. – Lettre du duc de Buckingham à Toiras, durant le siège de Saint-Martin et lui
recommandant de se rendre

Un enrichissement conséquent et rapide

Avec les honneurs et les avantages matériels qu’il distribue à sa famille, les responsabilités déferlent également sur Buckingham, dont la charge de grand amiral d’Angleterre en 1614, une des dignités les plus prestigieuses du royaume, généralement accordée à un homme d’expérience et d’autorité et de préférence un marin. Buckingham refuse, indiquant qu’il n’a ni connaissance ni expérience suffisante pour accepter cette charge. Le roi ne veut rien entendre. Devenu Premier ministre son pouvoir lui permet de s’enrichir en partie grâce au chancelier Francis Bacon en établissant de nouvelles taxes et en vendant des privilèges. Il brille de mille feux lors des nombreuses fêtes qu’il donne, arborant de riches vêtements brodés de perles et portant des joyaux de légende. Sa réputation de séducteur connue de tous, on l’accusait même de débauche, ne l’empêchera pas d’épouser Katherine Manners, en 1620, et de vivre avec elle une union sans nuage.

L’expédition de Ré

De 1622 à 1628, il jouera un rôle prépondérant dans la politique étrangère de l’Angleterre d’autant qu’après le décès de Jacques 1er, il n’aura plus aucune peine à imposer ses vues politiques et son irréalisme causera de nombreux problèmes au pays. En 1624, il séjourne à Paris pour négocier le mariage d’Henriette-Marie (soeur de Louis XIII) avec le futur Charles 1er. C’est à cette occasion qu’il rencontre Anne d’Autriche dont il tombe amoureux. La reine d’abord flattée, finit par l’éconduire. L’insistance de Buckingham, qui lui attirera la haine de Louis XIII, crée un conflit diplomatique grave, Richelieu lui ayant refusé l’honneur de représenter l’Angleterre à la cour de France. Interdit de séjour en France, Buckingham avait juré de revenir à la tête d’une armée. C’est en quelque sorte ce qu’il fait lorsqu’il s’embarque dans « l’expédition de Ré » (1) qui ne représentait au départ qu’un objectif provisoire puisqu’il s’agissait en réalité de sauver les protestants rochelais. Buckingham s’embarque à la tête de 60 navires et 8 à 9 000 marins pour une opération dans laquelle il montrera ses qualités humaines, sa vaillance personnelle et son panache, mais qui se soldera par un échec cuisant.

Tout se passera durant cette guerre de manière très courtoise selon des règles qui nous étonnent aujourd’hui. Buckingham enverra un jour une douzaine de melons à Toiras qui lui fait parvenir en retour une bouteille d’eau de citronnier et de la poudre de Chypre. Toiras offrira à Buckingham de lui léguer son plus beau cheval s’il meurt pendant le siège. Quant à Buckingham il n’hésite pas à enjoindre à Toiras de se rendre (Cf. lettre de Buckingham ci-contre, conservée au musée Ernest Cognacq à Saint-Martin).

On estime à plus de 4 000 les soldats anglais qui périrent sur le sol rétais. Si la popularité de Buckingham avait été celle de ses débuts, l’opinion publique lui aurait trouvé des excuses. En l’occurrence, elle se déchaine contre lui et une véritable campagne de haine est menée. Le 23 août 1628, le duc est assassiné par le fanatique John Felton un lieutenant licencié et revanchard agissant seul. Le duc avait 36 ans.

Malgré une terrible situation économique, des défaites dramatiques et une courte trajectoire, brillante il est vrai, Buckingham occupe une place exceptionnelle dans l’histoire. Son parcours fascine par son aspect romantique et deux siècles plus tard sa séduction opère toujours.

(1) Bataille que nous avons longuement décrite par ailleurs dans les colonnes de Ré la Hune N°259 et N°222 Bibliographie : Histoire de l’île de Ré des origines à nos jours de Mikaël Augeron, Jacques Boucard et Pascal Even – Le Croît Vif, GER Marcel Delafosse – Petite Histoire de l’île de Ré – Editions Ruppella Michel Duchein – Le duc de Buckingham – Fayard

Catherine Bréjat

Réagir à cet article

Je souhaite réagir à cet article

* Champs obligatoires

Vos réactions

  • David
    Publié le 13 août 2023

    Madame, Monsieur,

    J’ai remarqué l’excellente qualité – à tous égards – de l’article de Mme Catherine Bréjat sur le Duc de Buckingham publié par Ré à la Hune le 14 juin dernier. Donc je demande à recevoir la newsletter du journal et j’aimerais entrer en contact avec Mme Bréjat, au sujet entre autres de l’époque de la Révolution Française dans l’île de Ré. Comme elle, je suis un passionné d’histoire et j’ai des souvenirs, que je souhaite ne pas laisser perdre.
    Je vous souhaite un très bel été,
    David Paurd
    Habitant actuellement près d’Avignon

    Répondre